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Tout à coup, au milieu de la nuit, le jeune homme se leva et courut à la croisée ; il venait de penser au rosier qu’il abritait chaque soir près de son lit, et que dans son désespoir de la veille il avait oublié sur l’appui de l’étroit balcon. Hélas ! la bise glacée avait séché ses feuilles et fané ses belles fleurs. Il était mort. Les roses penchaient tristement leurs têtes décolorées ; on eût dit qu’elles pleuraient leur beauté et leur jeunesse. Marcel prit dans ses bras le pauvre rosier comme s’il eût voulu le réchauffer de son haleine ; mais ses forces étaient épuisées, il tomba inanimé sur le sol.

Dans la même nuit, à Fabriac, l’horloge de la vieille église avait à peine tinté deux fois dans le silence, qu’une porte s’ouvrait doucement sur la place du village. Aussitôt une petite caravane se mettait en marche. C’était Madeleine enveloppée dans sa mantille, Rose leste et pimpante sur ses petits patins, sa pacifique ânesse fléchissant sous le poids de barils et de bouteilles de tout calibre et de toute grandeur, et le Gris trottinant à ses côtés, couvert jusqu’aux oreilles d’une montagne de sarmens et de paniers, mal dissimulée par la cape de maître Lavène. Il avait neigé. Une lueur pâle éclairait le paysage de fantastiques reflets ; quelques pierres noirâtres, posées de loin en loin sur le blanc linceul dont la campagne était revêtue, ressemblaient à des larmes funèbres, et les arbres, courbant çà et là leurs branches sèches et blanchies, semblaient des spectres décharnés sortant du tombeau. Les corbeaux décrivaient à l’horizon ces cercles néfastes qui annoncent une prolongation de froid dans la nature et de misère chez le pauvre. Les deux femmes marchaient en silence, se serrant l’une contre l’autre, soufflant dans leurs doigts pour les réchauffer et tâchant de ramener sur la poitrine leurs mantilles, qu’un vent âpre et glacé soulevait autour d’elles en un noir et épais nuage. On n’entendait, que le bruit des pas de la petite caravane faisant craquer la neige glacée, la voix traînante de Madeleine excitant le Gris d’un hââ prolongé, et celle de Rose, qui le répétait à son ânesse en un trille vibrant.

Au point du jour vinrent se joindre à elles, de tous les villages environnans, d’autres paysannes abritées sous leurs mantilles noires et sous leurs grands chapeaux de feutre, tricotant ou devisant derrière leur âne, chargé de vinaigre ou de sarmens qu’elles allaient vendre quotidiennement à la ville. La bruyante cohorte s’étonna de la rencontre de ces nouvelles recrues. Rose et Madeleine furent jusqu’à Montpellier le sujet des conversations de la troupe féminine. — Viendraient-elles ainsi tous les jours ? Il y avait déjà tant de pauvres marchandes, et elles obtenaient si difficilement la vente de leurs charges ! — Leur gardant rancune pour venir ainsi sur leurs brisées, les villageoises laissèrent la tante et la nièce seules,