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fleuve. C’est par notre intermédiaire que les Maures percevront soit les tributs des vassaux, soit un reste de coutumes à titre de droits de sortie.

La politique de la France se trouve donc enfin assise au Sénégal sur ses vraies bases : elle applique et continue une tradition de quinze ans, expression combinée de la pensée de ses plus éminens gouverneurs et des habitans. Cependant elle n’accomplira pas sa tâche entière sans difficultés. Dans les pays barbares, chez des peuples enfans ou décrépits, les traités n’ont pas la même importance que dans la diplomatie européenne. La mort du chef qui les a signés leur ôte toute valeur aux yeux de ses héritiers ; le chef lui-même ne se plie pas aisément a une obligation qu’il a souscrite sous l’empire de la nécessité, mais dont les devoirs ne pénètrent sa conscience que d’une manière confuse. Puis, dans ces sociétés informes, un chef ne représente pas une nation aussi parfaitement que dans nos états civilisés ; il est rare que son pouvoir ne soit pas partagé, contesté par quelque famille ou faction rivale. Aussi un gouverneur de colonie doit-il atteindre, par des moyens directs ou déguisés, outre le chef principal, tous les chefs secondaires, ouvrir l’œil sur tous les personnages importans, vaincus de la veille, prétendans du jour, vainqueurs peut-être du lendemain, connaître leur influence de parenté ou de richesse, leur vie antérieure, leur caractère, et faire concourir cette multitude de détails vulgaires au succès de ses plans : diplomatie difficile et plus complexe peut-être qu’une grande politique internationale ! Quoi qu’il en soit, pour nous en tenir au Sénégal, il suffit de continuer avec persévérance et énergie le plan qui est en voie d’exécution, en imposant au Fouta et à tous les états qui pactisent avec le prophète Al-Agui des traités analogues. Dès ce jour, en assurant la pacification de tout le Bas-Sénégal, la guerre, a porté ses fruits, fruits excellens et pleins de semences fécondes. C’est le régime de la paix qu’il faut maintenant étudier.


I. — POPULATION DE SAINT-LOUIS. — PREMIÈRES INFLUENCES DE LA CIVILISATION. — RELIGION. — JUSTICE. — ÉTAT CIVIL. — ÉDUCATION.

L’ère de la paix, l’ère nouvelle où entre le Sénégal, doit s’inaugurer par un genre de triomphe plus difficile que des succès militaires, car les ennemis qu’il s’agit de vaincre ne cèdent pas au glaive et au canon : il faut lutter contre des habitudes oisives et des superstitions aveugles, enracinées depuis des siècles parmi les peuples du Sénégal, et que l’emploi intelligent des forces morales peut seul combattre avec avantage. Le ressort des âmes est usé ou faussé ; il faut le retremper et le redresser. La société indigène tout