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de l’écriture arabes, c’est assez pour que l’arabe devienne le long du fleuve la langue commune des affaires. On a longtemps accusé les marabouts d’user de leur influence au préjudice de la nôtre, d’entretenir la superstition et d’en vivre, d’exciter le fanatisme contre les chrétiens, de détourner les enfans de la langue et de la société des Français. Dans la confusion d’idées politiques qui longtemps a régné au Sénégal, de telles tendances étaient inévitables ; mais un arrêté du gouverneur, rendu en 1857, soumet toute ouverture d’écoles à une autorisation préalable, qui ne s’accorde qu’aux marabouts natifs de Saint-Louis ou y résidant depuis sept ans, et après examen de capacité et justification de bonne conduite, suivant le droit commun en pareille matière. Comme complément de ces mesures, tous les enfans au-dessus de douze ans doivent être conduits une fois par jour à une école française : solution excellente d’un problème difficile, qui se présente en tout pays où la civilisation chrétienne se trouve en contact avec des mœurs opposées ! Le zèle pieux de quelques catholiques de Saint-Louis aurait demandé davantage. La mosquée, érigée il y a quelques années par les soins et les deniers du gouvernement, les indigne comme un scandale et une insulte à leur propre foi ; la seule présence des marabouts les offusque ; ils réclament pour le christianisme seul, ou plutôt pour le catholicisme, le privilège d’un temple et le monopole de l’éducation. L’administration a su résister à ces prétentions. Qu’aurait gagné le pouvoir à éteindre dans les âmes ce respect instinctif envers l’autorité qui s’exhale de tous les versets du Koran, comme un conseil de religieuse obéissance envers les représentans de Dieu aussi bien dans la cité que dans la famille ? On suppose sans doute que le catholicisme eût recueilli tout ce que l’islamisme eût perdu : illusion naïve que dément l’histoire entière de l’Afrique, et, sans sortir de la Sénégambie, celle des peuples serères, mandingues et bambaras, qui sont restés réfractaires à l’islam, et que l’Évangile ne trouve pas moins indociles, bien que dans ces contrées les missionnaires chrétiens n’aient à lutter que contre un grossier fétichisme. À Saint-Louis même, les quelques noirs qui ont reçu le baptême sont loin de se distinguer par une moralité qui rejaillisse en honneur sur l’église catholique. Que la faute en soit au climat qui enflamme les sens, ou à une barbarie native de mœurs dont le christianisme exige trop de perfections, ou à un affaissement d’intelligence qui se heurte contre des dogmes trop profonds et trop spirituels, ou peut-être enfin à quelque loi mal observée de la nature, qui impose des variétés de religion aux variétés de l’espèce humaine, il est certain que le défaut d’accord entre la foi et la pratique éclate d’une manière très sensible chez les noirs baptisés du Sénégal. Une politique intelligente conseille une tout autre voie. Au lieu de creuser, par l’expulsion brutale