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des marabouts, un abîme entre le peuple indigène et le peuple dominateur, sachons, tout en surveillant leurs manœuvres et contenant leur mauvais vouloir, gagner leur confiance et obtenir leur concours, afin de faire servir à nos vues l’ascendant dont ils jouissent. Dans tout le monde musulman, les représentans du sentiment religieux s’inclinent aux pieds de la force et de la puissance comme sous les arrêts de Dieu. Les uns, c’est le grand nombre, simples et droits, se tiennent pour satisfaits de l’impartiale protection accordée à leur culte ; les autres, le petit nombre, avides et ambitieux, baisent dévotement la main qui distribue les traitemens, les honneurs et les rigueurs. Ceux-ci découvriront dans le Koran, pour peu surtout qu’on les y aide, autant de textes que l’on voudra pour enseigner la soumission aux lois françaises, car ce livre contient des paroles d’amour, des chants de paix, visions de l’avenir entremêlées aux cris de haine et aux hymnes de guerre, échos du passé. En s’inspirant de nos désirs, et sans dévier de leurs croyances, les marabouts mettront en relief les préceptes qui concilient, rejetteront dans l’ombre ceux qui divisent ; ils feront, au gré de nos desseins, la distinction des temps, des lieux et des peuples. Les marabouts de l’Algérie nous ont appris tout ce que l’on peut, dans cette voie, attendre de la bonne volonté des docteurs musulmans. Du reste, le succès commence à justifier cette marche. Fondée depuis moins d’une année, l’école laïque française de Saint-Louis reçoit déjà plus de deux cents élèves musulmans, sans compter un certain nombre d’enfans qui, par le conseil des marabouts eux-mêmes, fréquentent les écoles des frères.

Après l’éducation vient la justice, comme moyen de ralliement : la justice criminelle aussi bien que la justice civile servent l’une et l’autre à consolider l’action de la politique et de la religion, en rendant à chacun ce qui lui est dû, en enseignant le respect pour les lois sociales, pour les libertés et les propriétés individuelles. La justice répressive à tous les degrés, attribut de la souveraineté, a été revendiquée au Sénégal, comme dans toutes nos colonies, par l’autorité française, et néanmoins on fait une part à l’esprit et aux capacités indigènes, en admettant dans les cours d’assises les assesseurs musulmans à côté des assesseurs chrétiens. Les concessions ont dû être plus grandes à l’égard de la législation civile, que le Koran a intimement mêlée à la religion ; aussi continue-t-elle à régir les intérêts et jusqu’à un certain point les personnes. En première instance, elle est appliquée par des juges indigènes, sans innovation ; mais les appels sont portés devant un conseil, composé du gouverneur, d’un conseiller à la cour impériale, du directeur des affaires indigènes et du pontife musulman. Là se rencontrent les deux législations, les deux cultes, dans la personne de leurs représentans