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les plus éminens, et les tendances divergentes des codes se concilient en une doctrine supérieure inspirée par l’équité ou par le droit français. Dans ces rapprochemens se prépare l’unité de la loi sociale, sans hâte et sans contrainte, au lieu d’être ajournée indéfiniment, ainsi que nous le voyons en Algérie, où le gouvernement militaire a eu la funeste inspiration d’enlever aux magistrats français toute juridiction, même d’appel, sur les indigènes : moyen infaillible d’éterniser l’ignorante barbarie du code musulman.

L’état civil fournit une troisième et précieuse occasion de rapprochement. L’usage d’inscrire dans des registres officiels les naissances, les mariages et les décès a si intimement pénétré dans nos mœurs, que l’esprit s’y est habitué comme à la plus naturelle des coutumes, et ne se rend plus compte de ce qu’un tel usage suppose de progrès accomplis. Dans une telle institution, il y a cependant plus que de l’ordre et de la statistique. Cette constatation légale d’existences humaines qui apparaissent et s’évanouissent, de liens sacrés qui se nouent et se dénouent, est une source incessante d’hommages solennels à la famille, dont les sentimens sont ravivés, et à l’autorité, qui protège la vie et les droits des citoyens. À Saint-Louis, pour les Européens et les hommes de couleur, le mariage légal et religieux se substitue de plus en plus aux unions temporaires avec les signares, filles du sang français le plus noble quelquefois, mulâtresses de Saint-Louis, dont tous les voyageurs au Sénégal ont décrit l’ingénieuse coquetterie, les parures étincelantes, la bonté de cœur, le fidèle dévouement, le triste délaissement après l’âge des amours ou le retour en Europe de leurs époux de passage. Pour les musulmans, tous les actes de la vie civile sont enregistrés sous la haute influence du chef de la religion, élevé à la dignité d’adjoint au maire. Il reste à introduire chez ces derniers le nom de famille, autre don de la civilisation, dont l’absence étonne toujours les Européens, disposés à croire qu’une telle lacune suppose quelque grave relâchement des liens de la tradition et du sang, quoiqu’il n’en soit rien, ainsi qu’en témoigne la même lacune au sein des sociétés sémitiques, celles où les sentimens de famille et même la tradition héréditaire se montrent le plus vivaces. Parmi les peuples chrétiens eux-mêmes, le nom de famille n’est devenu général qu’au sortir du moyen âge, où il avait pris naissance dans les registres de baptême. De nos jours, il est devenu un moyen indispensable pour reconnaître les personnes à travers le temps et l’espace. Le nom de famille est même pour certains groupes, jadis tenus en suspicion et à l’écart, un moyen de se fondre dans la masse ; ainsi rien n’a plus contribué à mêler les Israélites à la nation française que l’obligation de prendre ce complément de leurs immuables prénoms bibliques. Au Sénégal,