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il est beau de l’emporter sur un esprit, de le forcer à se déclarer vaincu.

— Depuis quand chassez-vous, Donald ?

— J’ai toujours chassé et couru la montagne.

— Et les esprits ne vous ont jamais rien fait ?

— Dieu donne à l’homme le courage pour les vaincre.

— Vous n’en avez jamais eu peur ?

— Ils ne peuvent rien contre ceux de notre race.

— D’où êtes-vous donc, Donald ?

— Du pays, répondit-il.

— Du comté d’Inverness ou de ces terres ?

— Je suis de ces terres.

La prudence cauteleuse de l’Écossais et la réserve défiante du highlander avaient remplacé l’abandon dès que nos questions s’étaient adressées directement à Donald. Nous devions renoncer à satisfaire la curiosité que son attitude, durant cette chasse, avait éveillée plusieurs fois. Le soleil, au reste, commençait à baisser, et deux bassets d’Ecosse à longs poils, en arrivant essoufflés près de nous, annoncèrent l’approche des rabatteurs. Les ombres remplissaient déjà les vallées, pendant que les cimes des montagnes s’empourpraient sous les feux du soleil couchant, et qu’une vapeur rosée flottait sur l’horizon lointain. Huit longues lieues séparaient ces montagnes de la demeure de notre hôte, et il fallait songer au retour. Le jeune montagnard et le grand lévrier avaient pris les devans et nous montraient la route. Donald et le chien étaient dignes de ce site sauvage. Tous deux parcouraient leurs domaines. Je les vois encore passant à travers la bruyère ; ils avaient la force pleine de grâce, que donne un corps bien proportionné. Tous deux se trouvaient à l’aise et heureux dans ces montagnes.

La route suivie pour le retour quittait les solitudes abandonnées au libre parcours des cerfs, et regagnait les pays cultivés. Ceux pourtant qui chercheraient dans les highlands les champs et les moissons que nous avons coutume de rencontrer en France se tromperaient étrangement. Le blé ne vient pas dans les hautes terres d’Ecosse, et les grands propriétaires se sont adonnés à la culture du mouton, devenue la richesse du pays. De grossières murailles ont été construites à la base des montagnes avec les pierres parasites enlevées du sol, et de petits moutons à tête et à jambes noires errent dans ces abrupts pâturages à la garde de Dieu et des étoiles. Les fermiers, originaires presque tous des basses terres d’Ecosse[1], les surveillent ; mais le troupeau n’est réuni qu’une

  1. Les basses terres d’Ecosse s’étendent au pied des highlands, depuis Glasgow et Perth jusqu’aux frontières d’Angleterre. Les habitans de cette plaine ont toujours été en lutte avec les hommes des hautes terres.