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quittant son repos, montait dans les barques pour prendre part à une grande pêche, qui devait avoir lieu à l’extrémité du lac dont l’eau limpide baignait les pelouses verdoyantes de la charmante habitation de notre hôte. Durant toute l’après-midi, chaque coup de filet apporta les poissons par centaines. Ils s’entassaient sur le gravier de la plage avant d’aller porter l’abondance dans de pauvres familles qui devaient profiter de nos plaisirs, en recueillant les épaves de cette pêche miraculeuse. À chaque instant, le nombre des poissons augmentait ; rarement champ de carnage compta autant de victimes. Notre ami Donald tirait les filets avec une ardeur sans égale. Ce jeune sauvage à la rousse chevelure avait alors cette expression de fierté indépendante qui nous avait déjà frappés ; il ne songeait plus à son maître, il ne songeait plus à personne, et jouissait de son plaisir en véritable grand seigneur. Jamais triton ne fut plus convaincu de la légitimité de l’empire qu’il exerçait sur les eaux, et ce jour-là, en vérité, on eût dit que les camarades de Donald partageaient sa croyance.

La pêche terminée, nous étions remontés dans un canot, que deux vigoureux rameurs faisaient glisser sur l’eau transparente, unie comme une glace. Le paysage venait s’y réfléchir, et notre barque détruisait ce tableau plein de fraîcheur, ne laissant après elle qu’un sillon péniblement tracé, triste image de la fragilité des choses d’ici-bas. Là aussi, pour rencontrer ce qui dure, il fallait lever les yeux, et se dire, comme dans le labeur de la vie, la parole de l’église : en haut les cœurs ! Le spectacle alors était magnifique.

Dans la direction du nord-ouest, les arêtes dentelées d’une montagne de roches se dessinaient sur les feux rouges du ciel, et fermaient, comme une digue dressée par des géans, une vallée d’environ trois lieues, encadrée de chaque côté par cinq montagnes, dont les bases s’élevaient à des hauteurs inégales, véritables portans d’un décor gigantesque, destiné à faire fuir l’horizon, à grandir encore l’étendue. Sur la droite, une autre vallée moins profonde se reliait, par un col de grosses roches grises, à des sommets élevés, d’où se détachaient des éperons gigantesques, assez semblables aux arcs-boutans qui soutiennent les nefs des cathédrales gothiques. Une gorge triste, désolée, digne de moines voués à la pénitence, s’apercevait dans cette direction. L’un des côtés de cette vallée de douleurs avait la forme d’une immense carène de navire, et lorsque les brumes se dissipaient, on distinguait souvent des bandes de cerfs, qui semblaient, du haut de leur forteresse, porter défi aux habitant du cottage bâti au pied de ces escarpemens, sur les bords du lac, au milieu d’un nid de verdure.

Qui de nous, une fois au moins en sa vie, n’a pas éprouvé ce délicieux