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chef, à la tête de son armée, s’avança vers la ville du Cap. Les difficultés du terrain rendirent sa marche très lente ; lorsqu’il arriva sur les hauteurs d’où il pouvait découvrir cette malheureuse cité, il n’avait plus sous les yeux que des ruines fumantes : plus de 100 millions de valeur avaient été dans un seul jour la proie des flammes. Ce fut alors qu’on dut regretter les irrésolutions qui avaient amené un tel résultat. Il n’est pas si aisé qu’on le suppose de fermer les yeux au péril et de se jeter tête baissée dans les aventures : il n’en est pas moins du devoir de l’histoire de noter les occasions où le parti le plus audacieux eût été le meilleur et le plus sûr. Dans cette circonstance, ce fut une faute de ne point faire entrer d’emblée les vaisseaux dans la rade : il est probable que les nègres ne s’y fussent point opposés ; mais l’eussent-ils tenté, il n’y avait là aucune fortification capable de résister au feu de notre armée navale. Le fort Picolet, qui était l’épouvantail de la passe, n’aurait pas supporté pendant deux heures les bordées d’un vaisseau de ligne ; il aurait été comblé par les débris de la montagne à laquelle il était adossé.

Les amiraux Villaret-Joyeuse et Gravina, dont la présence, une fois le débarquement effectué, n’était plus nécessaire, se disposèrent à opérer leur retour en Europe avec tous les vaisseaux qui ne devaient pas faire partie de la station laissée devant Saint-Domingue. Je reçus l’ordre de me rendre au Port-au-Prince et d’y reprendre, près du contre-amiral Latouche, destiné à commander en chef nos forces navales dans la mer des Antilles, la position dont sa confiance m’avait honoré dès notre départ de Rochefort. La vigueur avec laquelle avait été dirigée l’attaque du Port-au-Prince par l’amiral Latouche et le brave général Boudet n’avait pas laissé aux nègres le temps d’organiser sur ce point leurs moyens de défense, ou d’arrêter leur plan de destruction. En moins d’une heure, les troupes furent jetées à terre, tandis que les vaisseaux embossés sous les forts contraignaient les noirs à les abandonner. Il n’y eut un peu de résistance qu’à l’entrée de la ville, où l’on échangea avec les insurgés quelques coups de fusil. Les expéditions du fort Dauphin et du port de Paix avaient eu un résultat semblable. La partie méridionale de l’île était restée sous le commandement du général noir Laplume, qui avait établi sa résidence dans la ville des Cayes. Ce général n’hésita pas à se réunir à nous, et ses troupes firent cause commune avec les nôtres. Les succès de notre armée furent aussi aisés que rapides. Toussaint Louverture, Dessalines, Christophe et presque tous les chefs noirs fuyaient devant nos soldats victorieux. L’armée avait été partagée en divisions destinées à agir séparément sur divers points de l’intérieur. Ces divisions se réunirent pour enlever la Crète-à-Pierrot, position très forte où s’étaient rassemblés les débris de l’armée de Toussaint Louverture. On ne put s’emparer