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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/930

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deux fois, et son capitaine avait pour principe qu’un vaisseau de ligne ne doit pas se déranger pour une frégate. Hélas ! il n’est que trop vrai, telle est la loi rigoureuse de la tactique. Ce n’est point une raison cependant pour couler une frégate, quand on peut l’éviter. Fort de son droit et brutal déjà comme il le fut plus tard dans un rang plus élevé, le capitaine de l’Aigle ne fit pas le moindre mouvement pour se détourner de sa route. L’agilité et l’admirable prestesse de la Mignonne la tirèrent cette fois encore du danger.

L’armée longea la côte de Saint-Domingue jusqu’à la hauteur de la ville du Cap ; mais, au lieu d’entrer franchement dans la rade et d’agir avec résolution, on s’amusa à parlementer avec les noirs. Il était facile de venir s’embosser à un quart de portée de canon des quais de la ville, et d’y opérer le débarquement des troupes. Notre hésitation excita les défiances de Toussaint Louverture, qu’on avait jusqu’alors laissé dans l’incertitude sur le parti qu’on prendrait à son égard, et qui n’avait pas encore complètement méconnu la suprématie de la France. Il ne douta plus qu’on n’en voulût à la fois à son pouvoir et à sa personne. Sa résolution fut prise à l’instant : il ordonna de livrer aux flammes la ville du Cap, et ses ordres impitoyables ne furent que trop bien exécutés.

L’escadre du contre-amiral Latouche s’était dirigée sur le Port-au-Prince ; ma frégate seule, qui avait reçu à Rochefort, outre ses passagers, un chargement de munitions de guerre, fut retenue devant le Cap. D’autres divisions furent détachées pour prendre possession du port de Paix et du fort Dauphin. Après beaucoup d’hésitations, on arrêta le point où se ferait le débarquement des troupes destinées à agir contre le Cap. Ce fut la baie de l’Acul, située à quelques milles à l’ouest de cette île, qu’on choisit pour une opération qui demandait avant tout la plus grande célérité. Il eût été de beaucoup préférable de débarquer dans l’anse qui se trouve en arrière du fort Picolet. On n’eût été ainsi qu’à une demi-lieue environ de la ville, et on eût évité à nos soldats une marche longue et pénible à travers des montagnes escarpées, où il n’y a d’autre route que des sentiers étroits. Peut-être alors serait-on parvenu à sauver de l’incendie la plus riche cité de Saint-Domingue. Le peu de profondeur de l’eau dans la baie de l’Acul ne permet pas aux vaisseaux de s’approcher de terre. Il fallut transborder sur les frégates les troupes, qui eurent à faire ensuite un assez long trajet dans les chaloupes de l’escadre. Trente-six heures suffirent à peine pour terminer le débarquement. La résistance des nègres fut très faible ; ils abandonnèrent presque aussitôt le petit fort bâti sur une éminence qui domine la baie, et leur artillerie de campagne, consistant dans un mauvais canon de k monté sur une charrette, leur fut enlevée par les premières compagnies qu’on jeta sur la plage. Le général en