Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/936

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des nègres, se trouvèrent en armes comme le premier jour : Saint-Domingue était à reconquérir.


II

L’amiral Latouche n’avait pas approuvé le départ du général Rochambeau pour le Port-au-Prince. Il voulut rester au Cap, ne fut-ce que pour protester par sa présence contre une mesure qu’il jugeait désastreuse ; mais en même temps il me prescrivit de me rendre avec la Mignonne sur la rade qui allait devenir, par le déplacement du quartier-général, le centre des opérations maritimes. J’occupais cette nouvelle station depuis plus d’un mois, lorsque je reçus l’ordre de me rendre immédiatement devant Léogane. Les révoltés pressaient vivement cette ville, regardée à bon droit comme la clef de Port-au-Prince, dont elle n’est éloignée que d’une vingtaine de milles. Assise sur un terrain tout à fait plat, n’étant dominée par aucune éminence, ne pouvant être que difficilement insultée par des vaisseaux, puisqu’elle est à plus de deux mille mètres du bord de la mer, Léogane eût pu faire une excellente place de guerre. Avant la création du Cap et du Port-au-Prince, elle avait été la capitale de la colonie : mais elle était descendue depuis lors au rang des villes secondaires. Son importance actuelle était toute stratégique : par sa position, elle commandait la chaussée qui mettait le Port-au-Prince en communication avec les divers mouillages de la partie occidentale et méridionale de Saint-Domingue.

Parti dans l’après-midi de la baie de Port-au-Prince, je laissais, avant le coucher du soleil, tomber l’ancre sur la rade de Léogane. Ce ne fut que le lendemain que je pus entrer en relations avec la ville, située, je l’ai dit, à près de trois quarts de lieue de la plage. Une escorte de vingt-cinq cavaliers noirs me fut aussitôt envoyée, avec un bon cheval, par l’officier commandant la place. Nous n’eûmes à nous défendre d’aucune attaque pendant ce court trajet. La garnison se composait de cent cinquante hommes de couleur, retranchés au centre de la ville, sur la place principale, sans vivres et sans munitions. Les insurgés avaient souvent franchi l’enceinte extérieure de la place, qu’ils avaient pillée, mais ils étaient toujours venus échouer contre le sang-froid du petit nombre de braves au secours desquels il était bien temps qu’on accourût. Je pris note de tous les besoins de cette intrépide poignée d’hommes, et je repartis pour la plage, accompagné du détachement qui m’avait déjà escorté. Si nous n’avions pas éprouvé d’opposition pour arriver jusqu’à Léogane, il n’en fut pas de même au retour. Les insurgés s’étaient embusqués dans les fourrés qui bordent la route, ils nous