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un appoint important des classes ouvrières, mais il ne veut pas que les droits des minorités, sans le maintien desquels la liberté politique s’évanouit, soient absorbés et anéantis sous l’impitoyable et stupide niveau de la majorité numérique. Que la nouvelle réforme électorale soit l’œuvre du ministère actuel ou des whigs, nous ne doutons point que le problème de l’extension du suffrage, conciliée avec les intérêts et les influences qui ont une autre expression qu’une formule numérique, ne soit résolu d’une façon satisfaisante.

L’Espagne est en pleine ébullition électorale ; elle approche déjà du moment où le scrutin va s’ouvrir pour laisser échapper le mot de la situation, le dernier mot de tous ces troubles indéfinissables qui remplissent la politique, depuis quelques mois, au-delà des Pyrénées. Or comment le gouvernement et les partis marchent-ils à cette lutte nouvelle ? Sans doute, il y a des programmes en Espagne ; les candidatures s’agitent à Madrid et dans les provinces. Les progressistes ont tenu des réunions bruyantes et ont publié des manifestes pour définir leur attitude dans la crise actuelle. Les modérés, à leur tour, interviennent dans la lutte, moins par des manifestes et des réunions publiques que par la presse et par cette action invisible d’un grand parti qui a des influences considérables. Le gouvernement enfin ne manque pas lui-même d’agir vigoureusement ; il continue surtout à multiplier les destitutions et les déplacement d’employés, sans doute dans l’unique pensée de mieux préparer le terrain électoral. Dans ces derniers temps d’ailleurs, le cabinet de Madrid a laissé voir ses desseins par deux actes plus sérieux ou moins personnels. L’un de ces actes est la circulaire adressée par M. Posada Herrera à tous les gouverneurs des provinces, pour leur faire connaître en quelque sorte le symbole politique du gouvernement ; l’autre est un décret qui fait revivre la loi de 1855 sur le désamortissement civil, en laissant en suspens la question du désamortissement ecclésiastique, qui doit être l’objet d’une négociation avec le saint-siège. Tout cela cependant ne résout pas la question essentielle, et ne dissipe pas l’incertitude qui pèse depuis quelque temps sur la situation de l’Espagne. Le ministère O’Donnell, il faut le dire, est dans des conditions singulières ; il ne veut être ni modéré ni progressiste, comme on sait. Après les échecs successifs des deux partis opposés, il veut réaliser une sorte de fusion entre les conservateurs et les libéraux, et faire sortir de là une situation nouvelle, un nouveau parti ; c’est une entreprise qui méritait d’être tentée, à laquelle tous les hommes sensés des divers partis devraient se rallier, et c’est déjà un honneur pour le général O’Donnell d’en avoir fait son symbole politique. Par malheur, si l’on veut bien tenir compte de l’état réel de l’Espagne, l’inconvénient de ce système, qui a l’air d’attirer tout le monde, est de finir par mécontenter tout le monde par des concessions en apparence contradictoires, de provoquer des chocs inévitables qui pourraient bien conduire le ministère à l’impossibilité de vivre en lui laissant la victoire matérielle dans les élections.

La circulaire de M. Posada Herrera était évidemment une avance au parti conservateur, une manifestation faite pour rassurer les hommes qui commençaient à craindre de voir le général O’Donnell s’engager dans une évolution trop complètement progressiste. En somme, c’était une profession de