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III.

Laissons les deux voyageurs continuer leur route vers le val de Joux, et revenons à Mouthe, où nous avons encore de nouvelles connaissances à faire. A l’une des extrémités du village est une maison basse, étroite, couverte en bardeaux. C’était là que demeuraient Joachim Salambier et sa fille. Bien que construite depuis peu d’années, cette maison était déjà, faute d’entretien, fort délabrée dans ses murs et sa toiture, et l’intérieur ne valait pas mieux. Une table de bois de sapin, un buffet à moitié rongé par les cirons, un lit que Rosalie n’apprêtait jamais qu’au moment de s’y coucher, composaient, avec un fragment de miroir et deux ou trois chaises vieilles et massives, l’ameublement du poêle. Meubles, plancher, plafond, tout était couvert de poussière, sale, enfumé; le cafar[1] s’y promenait effrontément en plein jour, et l’araignée tissait sa toile, sans crainte du balai, à chaque coin du plafond et de la cheminée.

A l’heure où Ferréol rencontra Joachim au Noirmont, la belle Rosalie était seule dans ce charmant logis avec le plus obstiné de ses adorateurs, Piérin Sornay, épais campagnard de vingt-cinq ou trente ans, mais qui, disait-on dans le pays, possédait autant de journaux de terre qu’il y a de dimanches dans l’almanach. Leur tête-à-tête, qui durait depuis une heure au moins, paraissait avoir avancé assez peu les affaires du patient villageois, car Rosalie était occupée, sans faire aucunement attention à lui, à interroger, sur certaines choses de l’avenir, un jeu de cartes peu neuf, et dont les armaillis n’eussent pas voulu. La première réponse de l’oracle n’ayant pas été des plus favorables, la belle villageoise recommença l’expérience, mais avec aussi peu de succès. Une troisième épreuve s’annonçait comme ne devant pas mieux réussir, quand Rosalie, trichant contre le sort, changea la place d’une des cartes.

— Oh ! oh ! de la contrebande ! dit le campagnard, qui avait suivi le jeu de loin, et n’ignorait pas que le valet de cœur s’y nommait Ferréol.

— Qu’est-ce qui vous parle, à vous? répondit sèchement Rosalie, sans seulement faire au villageois l’honneur de lever les yeux vers lui.

— Personne, répondit Piérin; je me parlais à moi-même, et je me disais que la dame de trèfle n’était pas à sa place, et qu’il y avait de la contrebande là-dedans.

— De la contrebande ! Vous ne savez parler que de contrebande.

  1. Cafar, voyez l’allemand kaefer, scarabée.