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gorge, de prendre la manœuvre. Du haut d’une des cabines construites sur le pont, le chef de la bande, un Chinois d’Amoy qui parlait l’anglais, un revolver à six coups dans une main, un drapeau dans l’autre, donna le signal du pillage, et en quelques instans tout le bâtiment présenta une scène d’affreux désordre. Les papiers du bord, les instrumens, les effets du capitaine, tout cela gisait pêle-mêle avec le riz, le biscuit, le poisson salé ; des Chinois brisaient les chronomètres pour voir si la monture n’était pas en or; d’autres s’amusaient à faire courir en gouttelettes le mercure des baromètres; un d’eux avait forcé la caisse aux médicamens, et, croyant avoir mis la main sur quelque liqueur de prix, il vidait les bouteilles en mangeant du biscuit; celui-là mourut au bout de quelques heures. Les cartes marines, déchirées et maculées de sang, gisaient sur le pont, et les Chinois couraient, gesticulaient, hurlaient tous ensemble. Ils se firent conduire à une petite île située au nord de Formose, ancrèrent et prirent terre avec les embarcations en ne laissant que vingt-deux des leurs à la garde des neuf matelots; mais tandis qu’ils étaient absens, le vent se mit à souffler du rivage, les Américains en profitèrent pour couper le câble ; par les promesses et les menaces, ils se rendirent maîtres de leurs gardiens; un bâtiment qu’ils rencontrèrent leur vint en aide, et ils purent regagner Amoy. Le motif ou tout au moins le prétexte de l’insurrection se trouvait dans les mauvais traitemens et dans l’outrage fait à plus de deux cents Chinois, qui avaient été privés de leur longue tresse de cheveux.

Ces événemens et d’autres semblables eurent en Amérique et en Asie un grand retentissement. Les journaux de Shanghaï, de Hong-kong et des États-Unis prirent parti contre le commerce des coolies, signalant les dangers qu’il présente, enregistrant les catastrophes et déclamant contre ce qu’ils appelaient la traite des jaunes, le commerce des esclaves chinois. Cependant il fallait des bras dans les colonies; de plus le transport des Chinois se trouvait fort lucratif en dehors de ses sanglans épisodes : le trafic ne fut pas interrompu. Voici quelles étaient les promesses et les conditions de l’engagement offert par les agens anglais chargés de recruter des coolies pour les Antilles : un climat chaud, la même température que dans la Chine méridionale; la distance est grande, mais on la franchit dans des bâtimens commodes et bien disposés ; les usages des travailleurs ne subiront aucun changement; l’engagement est de cinq années. Après une expérience d’un an ou de dix-huit mois, on sera rapatrié si le travail déplaît. Seront alloués quatre dollars par mois, un à l’avance; deux habillemens complets chaque année; dix livres et demie de riz blanc ou de blé par semaine, quatre de