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saison, nos ports furent rigoureusement bloqués ; nous eûmes donc, avant de sortir de Lorient, tout le temps nécessaire pour instruire à loisir nos équipages.

Je n’ai jamais conçu l’intérêt qu’il pouvait y avoir à faire de nos marins des automates, à les dresser comme des sentries anglais, et à leur retrancher toute espèce d’initiative. Peut-être, avec les tendances dont je ne pouvais me défendre, aurais-je fini par tomber dans l’excès opposé ; peut-être, trop imbu des vieilles traditions de nos pères, serais-je un peu resté en arrière des progrès dont on commençait à chercher l’exemple chez nos rivaux. Cependant je puis me rendre cette justice, que je ne négligeai rien pour perfectionner l’instruction des marins de la Créole. Ils étaient tous du quartier de Saint-Malo, le quartier qui fournit les meilleurs matelots de France. Je les avais formés non-seulement à la manœuvre des voiles et à celle de l’artillerie, mais aussi, ce qui était plus rare en ce temps-là, au tir du fusil et au jet de la grenade. Il est vrai que le lieutenant en pied de la frégate, sans être un grand marin, — il n’avait pas reçu du ciel l’influence secrète, — était possédé au plus haut degré de la manie des exercices. Je me serais bien gardé de refroidir son zèle, n’eût-ce été que dans la crainte de le désobliger, et je fis sagement, car au bout de quelques mois j’avais incontestablement le meilleur équipage qui fût sur la rade de Lorient : mes gabiers étaient excellens, et mes canonniers n’auraient pas manqué à vingt ou trente brasses la coque d’une frégate. Tous les vaisseaux anglais n’auraient pu, quoi qu’on nous ait conté de leur habileté, se vanter d’en faire autant. Nous allions dans quelques semaines en avoir la preuve.

Le 19 février 1809, la flotte de lord Gambier, qui s’était maintenue jusqu’alors à la hauteur d’Ouessant, fut forcée par le mauvais temps d’abandonner son poste habituel de croisière. Une escadre française, composée de huit vaisseaux de ligne et de deux frégates, sortit à l’instant même de Brest et paient trois jours après devant le port de Lorient. Quatre vaisseaux anglais, sous les ordres du commodore Beresford, bloquaient étroitement ce port ; ils prirent chasse devant notre escadre. A six heures du soir, ces bâtimens se trouvèrent hors de vue. Les forces navales rassemblées sur la rade de Lorient furent informées, par l’envoi d’un aviso, que la mer était libre devant elles, et l’escadre de Brest, profitant d’une jolie brise de nord-ouest, poursuivit sa route vers le Pertuis-d’Antioche. A l’entrée de ce pertuis était mouillée, sous les ordres du contre-amiral Stopford, une autre division anglaise, composée de trois vaisseaux : le Cæsar, de quatre-vingts canons, le Donegal et le Defiance, de soixante-quatorze. Cette division, prévenue à temps par la frégate de sa majesté britannique l’Amethist, échappa, comme la division du com-