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ne combattions plus pour conserver nos conquêtes, nous luttions pour repousser l’ennemi du sol natal. Au milieu de ces désastreux événemens, le ministre de la marine me fit annoncer son intention de me proposer à l’empereur pour le grade de contre-amiral. Afin de me prouver sa bonne volonté, il me confia une mission qui avait été destinée à un officier-général. Après avoir fait entrer dans le port le vaisseau le Marengo, qui avait besoin de grandes réparations, je devais aller inspecter les bâtimens de flottille des arrondissemens de Brest et de Lorient pour y rechercher les marins capables d’être incorporés dans nos équipages de haut-bord. Je partis sur-le-champ, et je visitai ainsi tous les ports des côtes de Bretagne. Le résultat de cette inspection ne fut pas sans quelque importance. Sept cents hommes furent immédiatement dirigés sur le port de Brest : nos ressources en marins n’étaient pas tellement épuisées qu’on aurait pu le croire; mais les convoyeurs et les stationnaires, multipliés à l’infini, absorbaient nos meilleurs matelots. Ces bâtimens n’avaient pour équipages que des hommes d’élite, et leur effectif était toujours supérieur au chiffre réglementaire, tant il est vrai que sans une bonne administration les richesses en hommes aussi bien qu’en matériel se gaspillent! Le ministre voulut bien lire avec quelque intérêt le rapport que je lui envoyai au retour de ma mission. Il m’en fit adresser ses félicitations, et j’avais l’espoir qu’il réaliserait bientôt sa promesse. Malheureusement les événemens ne lui en laissèrent pas le temps, et ce ne fut point sous l’empire que j’obtins le grade de contre-amiral. Ces désappointemens successifs n’avaient pourtant ni affaibli mon zèle, ni même ébranlé mon dévouement. Quel était le militaire qui n’était pas dévoué à cette époque? Il faut un fanatisme quelconque à l’homme de guerre; le nôtre n’était pas le sentiment religieux des anciens chevaliers, c’était l’attachement passionné du soldat pour son général. Nous n’aurions même pas compris la distinction qu’on eût voulu faire entre les intérêts de la France et ceux du grand capitaine qui la gouvernait.

L’escadre de Brest cependant demeurait inactive; quelques frégates seulement avaient été envoyées en croisière, et avaient réussi à tromper, à force d’audace, la vigilance des bâtimens qui faisaient le blocus. Quelques-unes de ces frégates succombèrent après de glorieux combats; d’autres parvinrent à rentrer dans nos ports, après avoir capturé et brûlé un grand nombre de navires de commerce. Ce fut le suprême effort de notre marine. Bientôt nous vîmes arriver à Brest d’énormes convois de prisonniers, qu’on faisait refluer de l’intérieur de la France sur la Bretagne, afin de les empêcher de retomber entre les mains des armées ennemies. Le bruit