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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/198

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d’étonnans succès arrivait avec eux. On disait que Napoléon avait repris l’offensive, que les alliés étaient coupés des routes de l’Allemagne, que ces armées innombrables, qui nous avaient envahis, allaient repasser la frontière. On était habitué à attendre des prodiges d’une fortune qui devait être en effet jusqu’au bout prodigieuse; mais bientôt les communications avec la capitale se trouvèrent interrompues, et une sinistre nouvelle circula parmi nous : Paris était au pouvoir de l’ennemi! À ce cri, toute la marine se leva en masse. Les officiers présens au port de Brest se rassemblèrent, et vinrent m’offrir de prendre le commandement des équipages de haut-bord, équipages dont la réunion pouvait composer un corps de plus de sept mille hommes. Avec ces soldats d’élite et complètement dévoués, nous marcherions au secours de Paris.

Ce témoignage si flatteur d’une confiance que jamais l’intrigue n’a pu surprendre me toucha plus que toutes les distinctions qui auraient pu m’être accordées. Il est doux, quoi qu’on en puisse dire, d’être populaire, et c’est le dépit de ne point l’être qui pousse tant de gens à ravaler ce genre de succès, Néanmoins le sentiment de la hiérarchie militaire ne m’a jamais abandonné. Je remerciai mes camarades, avec une émotion profonde, de l’honneur qu’ils avaient voulu me réserver; mais je crus devoir leur faire remarquer qu’ils avaient dans l’amiral placé à la tête de l’escadre un chef bien plus que moi digne de les conduire, et sous les ordres duquel je serais le premier à me ranger. J’allais prévenir le préfet maritime de leur démarche. Si le préfet et l’amiral, après s’être concertés, ne s’opposaient ni l’un ni l’autre à ce projet, j’étais prêt à partir immédiatement. — La réponse du préfet fut très bienveillante. Après avoir loué ma réserve, il entra dans des considérations dont il était impossible de méconnaître la sagesse. Le port de Brest était le premier port de France et le plus riche de nos arsenaux. Il serait imprudent de le priver de ses défenseurs naturels, surtout lorsqu’une escadre anglaise se trouvait en position de forcer l’entrée de la rade. D’ailleurs, ajouta-t-il, le départ des équipages de haut-bord était sans but. Un gouvernement provisoire venait de s’établir à Paris, et il fallait, avant de rien entreprendre, attendre ses ordres.

Une paix onéreuse termina une longue série de triomphes suivis d’incroyables revers. Les officiers de la marine impériale furent mis au nombre des vaincus, et les meilleurs furent traités comme tels. Leur cœur, il faut bien le dire, n’était pas avec le régime nouveau. Ceux mêmes qui, comme moi et quelques-uns de mes camarades, devinrent plus tard l’objet des plus bienveillantes faveurs de la part de la restauration ne purent jamais étouffer ni dissimuler complètement leurs regrets. Entre eux et les Bourbons ce fut jus-