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qu’au dernier jour l’alliance d’Andromaque et de Pyrrhus. La restauration aimait la marine cependant, et on a pu reprocher à l’empire d’avoir traité la nôtre sans sympathies et sans ménagemens; mais ceci n’était vrai que du commencement de l’empire, car la date de nos derniers désastres se confond avec la renaissance de notre marine. C’est lorsque tout semblait désespéré qu’une saine politique fit sortir un nouvel édifice des cendres de l’ancien. Je ne crois pas, je le répète, qu’on eût pu mieux faire que l’empereur le jour où il cessa d’employer la marine comme un rouage secondaire de ses projets. A partir de ce moment, il avait préparé lentement et avec patience l’avenir. Il n’avait plus voulu de luttes inégales, mais il n’avait pas renoncé à nous placer un jour au niveau de l’ennemi. Il faut lui savoir gré de cette ambition : je suis loin de la classer au nombre des illusions dans lesquelles s’est égaré son génie; ce serait une illusion d’ailleurs, que je la préférerais à celle qui se complaît à nous mettre en présence d’un ennemi dont les forces seraient le double ou le triple des nôtres. Les Anglais sont les descendans de ces rudes champions contre lesquels combattait Beaumanoir. Pour les vaincre, il fallait nous rendre le combat des trente. Je ne prétends certes pas qu’à défaut d’une marine aussi considérable que celle de l’ennemi, rien ne soit possible, mais je déclare mauvaise toute stratégie qui aboutit à mettre contre soi l’avantage du nombre. Avec moins de vaisseaux que l’ennemi, il faut, sur un point donné, savoir se trouver le plus fort. Des navires plus rapides, des armemens plus prompts, des concentrations habilement ménagées peuvent amener ce résultat. Je dis qu’avant tout on y doit tendre. Pour créer une marine, il faut donc savoir à l’avance l’emploi qu’on en veut faire, les mers dans lesquelles on la destine à opérer, les combinaisons auxquelles on lui réserve de prendre part. Ce n’est pas seulement de l’administration, c’est de la politique. Dieu me préserve de m’étendre davantage sur un pareil sujet! Ce ne serait ni d’un bon citoyen, ni d’un officier pénétré des sages exigences de la discipline. De semblables questions ne sont pas faites pour la publicité. Je serais, en tout cas, le dernier à vouloir les offrir en aliment aux passions populaires, car nul n’apprécie plus que moi les bienfaits de l’alliance anglaise et n’en désire plus sincèrement la perpétuité. Seulement je voudrais, — ce vœu doit m’être permis, — qu’une si grande alliance, fondée sur la sympathie mutuelle et sur les intérêts communs des deux peuples, ne pût jamais se rompre sans que cette rupture fût autant à craindre pour l’Angleterre que pour la France.


E. JURIEN DE LA GRAVIERE.