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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/21

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d’un gouvernement. Les pouvoirs les plus novateurs n’ont fait qu’obéir aux suggestions de quelques penseurs indépendans ou aux réclamations de l’opinion publique. Même en Angleterre, et dans ces derniers temps, la réforme des lois sur les céréales a été l’effet d’une pression du dehors exercée sur les pouvoirs constitutionnels. Il n’est guère de progrès politique ou législatif qui ne consiste dans l’abolition d’une chose que les gouvernemens ont faite, et il est à peu près sans exemple qu’ils aient spontanément imaginé de renoncer à quelque partie ou à quelque forme de leur autorité pour le plus grand bien de la liberté et de la raison. L’économie politique est presque dans toutes ses parties la condamnation des pratiques du pouvoir protecteur, et la société ne se sent en confiance dans son avenir que là où le gouvernement relève de la raison publique.

C’est faute d’avoir connu ces vérités que la science historique est restée si longtemps au berceau : elle s’est presque toujours renfermée dans le récit des événemens politiques. Les meilleures histoires n’ont été au fond que des chroniques : elles ont répété des traditions mensongères ou enregistré des faits sans liaison ; elles n’ont rien dit des destinées de l’esprit humain. Si l’on cherche à remplir cette lacune pour l’Angleterre en particulier, on trouve que, là comme ailleurs, l’âme de la nation n’a commencé à se montrer par des résultats, la civilisation n’a vraiment pris l’essor que du jour où les esprits ont cessé de se contenter des idées dont la tradition les avait encombrés, et où, les soupçonnant d’être des préjugés, on a mis en question ce qui ne l’avait jamais été. L’esprit de recherche précède la découverte, l’esprit de doute précède la recherche. Par un acte de scepticisme, le génie de l’homme se prépare à la poursuite de la vérité. C’est vers le temps d’Élisabeth que l’Angleterre donna pour son compte le signal précurseur du plus célèbre réveil de l’esprit humain.

Ce serait abuser de l’attention des lecteurs de la Revue et faire tort en même temps à l’auteur de l’ouvrage qui nous occupe que d’en poursuivre sur le même plan l’analyse au point où nous sommes parvenus. Il est évident que, dans le système de M. Buckle, l’histoire de la civilisation est ramenée à n’être que ce que d’autres ont appelé l’histoire de l’esprit humain, et l’histoire de l’esprit humain se réduit, à peu de chose près, à l’histoire de la littérature scientifique et philosophique. Ce n’est guère que dans les livres que les siècles déposent ce qu’ils ont pensé. Les livres sont les plus grands monumens de l’histoire. M. Buckle a tracé avec un certain développement l’histoire de l’esprit humain en Angleterre, ou, si l’on veut, de l’esprit britannique, depuis le milieu du xvie siècle jusqu’à la fin du xviiie. Ce tableau est d’un haut intérêt, et l’auteur y fait preuve