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d’une grande variété dans ses connaissances, d’une grande indépendance dans ses jugemens.

S’il a préféré l’Angleterre à tout autre champ d’observation, un étroit patriotisme n’a pas dicté son choix ; sa vue s’étend au-delà des rivages de son ile, et les sept derniers chapitres de son ouvrage, — quatre cents pages bien remplies, — sont consacrés à l’histoire intellectuelle de notre pays, le seul dont évidemment la civilisation puisse à ses yeux entrer en lice avec la civilisation britannique. Du milieu du xvie siècle à la minorité de Louis XIV, la France lui paraît avoir passé par une crise comparable à celle que traversait l’Angleterre contemporaine, et cette crise, il la décrit avec le même soin sur les deux bords de la Manche. Si elle n’a point abouti dans les deux contrées à des résultats semblables, il s’en prend à l’esprit de protection, à ce que, dans la phraséologie de nos controverses, on a tour à tour appelé l’esprit de la monarchie, le principe de l’autorité, la centralisation, quelquefois le socialisme. Il considère dans les deux pays le rôle et l’influence de cet esprit, et il n’hésite pas à expliquer par l’énergie qu’il a prise sur notre sol pourquoi la fronde a aussi misérablement échoué que la révolution anglaise a puissamment réussi. C’est la même cause qui, en unissant dans une alliance intime les classes intelligentes et les classes gouvernantes, a privé, selon lui, d’une large et féconde influence sur le sort de la société la littérature du règne de Louis XIV. On sera peut-être étonné et quelque peu choqué de l’entendre dire qu’à dater de l’avènement de ce prince jusqu’à la régence, le génie français a été stérile en grandes œuvres ; mais il ne donne ce nom qu’à celles qui font faire un pas à la science, à l’esprit humain, à la civilisation nationale. Aussi est-il impossible de plus dignement parler de l’ère de Descartes et du mouvement par lequel débuta en France le XVIIe siècle. Lorsque Louis XIV fut descendu dans la tombe, l’immense et légitime réaction qui suivit ne trouve pas dans M. Buckle, comme on s’y attend bien, un juge malveillant. Il l’explique, il la motive, il la commente ; mais il est assez loin d’une aveugle indulgence pour faire une remarque digne d’être méditée : c’est qu’il est à regretter que les habitudes de l’esprit français par rapport au gouvernement, et surtout l’action compressive de soixante ans de despotisme, l’eussent si fort détourné de diriger ses moyens d’inquisition et de contrôle vers la politique, qu’ayant à se relever d’un long assujettissement, il ait, surtout dans le pouvoir sacerdotal, combattu d’abord l’oppression, et qu’ainsi avec le clergé la religion soit devenue peu à peu l’objet principal et même exclusif de ses agressions. Si elles eussent été tournées contre la ligue du gouvernement et de l’église, et que dans cette ligue les principaux coups