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pour- dire, qui va prendre la direction de ses destinées. La régence a été votée sans discussion par les chambres. Ce vote silencieux est d’un bon augure, et prouve que l’esprit pratique a fait des progrès en Prusse. On pouvait craindre en effet que cette question de la régence ne devînt le prétexte de harangues théoriques et subtiles sur la nature du droit en vertu duquel le prince-régent a pris le pouvoir. La coterie des hobereaux a bien essayé de faire une manifestation dans la chambre haute en proposant une adresse au roi que la majorité a repoussée pour ne pas prêter les mains à une manœuvre de parti. Nous croyons que l’on peut attendre avec confiance le remaniement du ministère dans un sens libéral. Pour notre compte, nous suivons avec une sympathique sollicitude les indices qui se produisent dans les diverses parties de l’Europe, et qui semblent annoncer le retour du bon temps de l’honnête liberté, car toutes les nations européennes sont solidaires dans leurs vicissitudes politiques. Nous avons été heureux, dans cet ordre de choses, de pouvoir élargir le cercle de nos sympathies jusqu’à la Russie, dont un souverain généreux s’efforce d’élever les immenses populations à la liberté sociale. Les encouragemens de l’Europe libérale ne doivent pas manquer à l’empereur Alexandre dans l’œuvre admirable à laquelle il se voue avec un entrain chevaleresque. Les difficultés qu’il rencontre sont en effet nombreuses et graves. La chaleureuse allocution qu’il a récemment adressée à la noblesse de Moscou indique assez d’où viennent ces difficultés. La noblesse de la seconde capitale de l’empire s’oppose à l’affranchissement des serfs, et cette opposition redoutable voit à sa tête celui-Là même qui fut le mauvais génie de la Russie dans la dernière guerre, un homme sans doute d’un grand esprit et d’une rare énergie, le prince Menchikof en personne.

L’Angleterre et la Russie ! nous avons ouvert avec curiosité une brochure qu’un écrivain de la presse gouvernementale, M. de Cesena, vient de publier sous ce titre. Après Cherbourg et après le discours de M. de Persigny, nous avions espéré que le langage des journaux et des écrivains se calmerait quelque peu à l’endroit de nos alliés. Nous avouons notre déception : une portion trop considérable de la presse-actuelle, mue par je ne sais quel fil invisible, prend machinalement les mêmes attitudes d’hostilité contre l’Angleterre. Comment M. de Cesena, que nous ne voulons pas confondre avec ces automates, a-t-il été conduit à proclamer la décadence de l’Angleterre ? Il conseille aux Anglais, condamnés à perdre l’Inde, d’organiser dans la population hindoue des dynasties hindoues, et promet à la Russie la succession de toutes les grandeurs commerciales et coloniales de la Grande-Bretagne. M. de Cesena ne s’est point aperçu qu’il allait sur les brisées de M. Ledru-Rollin, lequel paya l’hospitalité anglaise, dès les premiers mois de son séjour à Londres, par un livre sur la décadence de l’Angleterre. Il y a longtemps que ceux qui ne connaissent pas l’Angleterre, qui la jugent sur la foi des saillies incomplètement traduites de quelques-uns de ses orateurs d’opposition, qui croient naïvement le mal qu’elle a le courage de dire d’elle-même pour signaler ses vices et les réformer, vont s’écriant : « l’Angleterre est perdue ! » Il faut toujours leur répondre avec Mirabeau : « l’Angleterre perdue ! sous quelle latitude ? » À quoi bon ces pro-