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cesse, à partir de la réforme, d’être à la tête du monde civilisé, cela n’est pas douteux ; mais elle survit si bien à son hégémonie, que, plus de trois cents ans après le commencement de sa décadence, elle donne des signes d’une vitalité héroïque et occupe l’Europe entière de ses moindres mouvemens. L’antagonisme du pape et de l’empereur n’est donc la loi que d’une période de son histoire. Cela suffit sans doute à démontrer l’insuffisance de cette loi ; mais je me hâte d’ajouter que, si l’on veut se renfermer dans la période où elle se vérifie, on peut suivre avec intérêt et profit les développemens de M. Ferrari.

Dès les premiers temps du moyen âge se manifeste en Italie la lutte du pouvoir laïque contre le pouvoir spirituel. Le pape siége à Rome, les Lombards règnent à Pavie. Rome sait qu’elle ne peut rien contre la force brutale de Pavie, mais Pavie sait de son côté « qu’il y a des forces indomptables dans ces fragmens de terre échappés à la domination longobarde. » Il faut que l’une des deux abatte l’autre, et naturellement la victoire reste au plus faible, à celui qu’on ne peut saisir. En 712, le royaume lombard d’arien est devenu catholique, sans que l’inepte Paul Diacre nous apprenne les circonstances de sa conversion. Gênans pour Rome, non plus comme hérétiques, mais comme voisins, les Lombards ne devaient pas tarder à trouver plus catholiques qu’eux. Les Franks barbares de Pépin et de Charlemagne consomment leur ruine avant que le siècle soit écoulé.

Ce triomphe pontifical est, suivant M. Ferrari, celui de la fédération et de la liberté italiennes. Je ne lui demanderai pas où est alors la fédération, où est surtout la liberté. J’aime mieux montrer avec lui l’inanité d’une victoire qui réduit le pape à créer un empereur, à le nommer duc et patrice de Rome, à battre monnaie à son effigie : le dualisme renaît ainsi du fait même qui semblait l’anéantir. L’Italie a deux chefs : l’un, toujours en armes, réside au loin dans le nord ; l’autre, désarmé et présent, n’aura de force qu’autant que l’Italie voudra s’associer à ses projets. C’est l’effrayante unité vers laquelle tend Charlemagne, le chef armé, qui rend la fédération nécessaire, et le pape met au service de la fédération son pouvoir spirituel, essentiellement unitaire. Cette combinaison produit bientôt une puissance de premier ordre, capable d’infliger une pénitence publique à l’empereur Louis et d’excommunier Carloman. D’autres fois ce sont les révolutions intérieures de l’Italie qui mettent le dualisme en danger. Marozia, mère du pape Jean XI, épouse Hugues de Provence, roi d’Italie : voilà Rome et le royaume sous la même main. Un soufflet donné par Hugues à Albéric, son beau-fils, amène la séparation. Le fils d’Albéric ceint la tiare : il a beau ordonner les diacres à l’écurie, chasser, boire, jouer au ballon, courir les femmes galantes jusque dans l’église, être en un mot aussi peu pape que possible dans sa conduite : il l’est autant que possible dans sa politique. Quoi encore ? Les désordres, les violences du temps amènent le triomphe de l’empereur Othon Ier, qui règne par le clergé : aussitôt naissent les communes italiennes, qui vont reprendre la tradition fédérale, abandonnée un moment par le saint-siège : grande révolution, que M. Ferrari montre successivement au sein de toutes les villes italiennes et de tous les états de l’Europe.

Ce récit, dans les longs et nombreux chapitres qu’il remplit, est néces-