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REVUE. — CHRONIQUE.

sairement sommaire et par suite obscur : pour tout comprendre, il faudrait savoir autant que l’auteur lui-même. Tous les peuples épousent la querelle du pape ou celle de l’empereur, non point au hasard et par caprice, mais d’après une loi invariable. Il suffit que, docile à ses intérêts ou à ses tendances naturelles, une grande nation (M. Ferrari n’insiste pas assez sur l’épithète) ait pris parti pour celui-ci ou pour celui-là : la politique de toutes les autres est, du même coup, déterminée. Ainsi la France de Charlemagne, ayant créé le pouvoir temporel des papes et détruit le royaume lombard, défend son œuvre, et, quoique unitaire pour elle-même, se prononce pour la fédération italienne et le saint-siége ; l’Allemagne fédérale au contraire soutient nécessairement la cause de l’unité et du pouvoir laïque en Italie, parce qu’il est dans ses destinées d’être en rivalité avec la France, sa voisine. Adoptons les mots consacrés de guelfes et de gibelins, quoiqu’ils ne fassent leur apparition que plus tard : nous aurons l’Angleterre gibeline pour le même motif que l’Allemagne, l’Ecosse guelfe, et par conséquent amie de la France, en haine de l’Angleterre. De même le Portugal s’unit aux ennemis de l’Espagne, la Norvège à ceux de la Suède, et ainsi de tous les autres. Pour compléter la contradiction régulière de ces séries, il faut ajouter que chaque pays contient une opposition aux principes qui y dominent. Ainsi l’opposition est gibeline en France et guelfe en Angleterre, en sorte qu’on trouve une Europe opposante au rebours de l’Europe officielle et gouvernementale.

Rien n’est plus clair, plus vrai, plus satisfaisant pour l’esprit. Ce qui l’est moins, c’est l’histoire des communes italiennes. Pour se diriger dans ce chaos, M. Ferrari se voit obligé de nier ce qui a été le plus universellement affirmé jusqu’à ce jour ; il nie donc que l’Italie combattît alors pour l’affranchissement du sol et l’expulsion des empereurs. Contre la tyrannie odieuse des rois indigènes, elle appelait en effet le défenseur dont l’éloignement lui rendait la domination plus supportable, ou bien elle aimait dans le pape un chef à qui la conquête était impossible. Les communes combattent tantôt l’un tantôt l’autre, et se tournent contre celui qui semble menacer leurs libertés, dont elles s’occupent infiniment plus que de leur indépendance. Au sein même de la commune, le dualisme, réduit à de moindres proportions, se retrouve dans la lutte constante du comte et de l’évêque ; puis, après la victoire de celui-ci, vers l’an mil, il renaît de la question de savoir qui nommera le chef spirituel de la cité. L’empereur, le pape, les communes mêmes, pour leurs prêtres et leurs chapitres, revendiquent ce droit, et la querelle s’étend d’abord à l’élection des papes, puis à celle des investitures, bien autrement grave, puisque la solution réclamée par les guelfes pouvait donner au saint-siège des occasions presque continuelles d’intervenir dans les affaires de l’Allemagne et de la chrétienté tout entière, d’exercer contre les empereurs son droit d’excommunication, et de leur donner à son gré des successeurs.

C’est pour avoir compris la portée de cette lutte et cherché à en assurer les avantages au trône pontifical que Grégoire VII mérite d’être rangé parmi les plus grands génies du moyen âge. Il n’avait oublié qu’une chose, à savoir que la suprématie des empereurs avait toujours été contre-balancée par l’influence des prêtres, tandis que la suprématie des papes, établie sur les ruines