Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
237
REVUE. — CHRONIQUE.

Visconti à Milan, les Scala à Vérone, les Este à Ferrare, règnent par la paix, s’inquiètent peu du bien et du mal, et laissent aux dupes le respect de la justice et les sentimens de fidélité. Plus de rébellions, un sourd écho seulement des anciennes querelles ; les petites villes gravitent dans l’orbite des grandes et disparaissent, comme Pavie, Ivrée, Plaisance, lorsqu’elles ne peuvent trouver des seigneurs indigènes.

Sous cette apparence de calme et de bonheur, que M. Ferrari vante outre mesure, le pêle-mêle est à son comble. Les seigneurs sont guelfes ou gibelins suivant l’occasion ; la papauté les combat, soutenue par les dernières républiques et les derniers tyrans, à défaut des Valois, ses alliés naturels, trop faibles pour se mêler aux agitations extérieures. Les vieux partis continuent de remuer dans l’ombre, et à la réaction pontificale vient s’ajouter la réaction impériale, incarnée dans louis de Bavière. C’est le commencement de la fin. L’empire, avili sous Charles IV, devient presque exclusivement allemand ; la papauté, ravivée un instant par le génie du légat Albornoz, renonce définitivement à l’unité rêvée par Grégoire VII, et dans cette merveilleuse Italie du moyen âge il ne reste plus debout que trois villes : Milan, qui veut régner sur toutes les autres ; Florence, qui s’y oppose et qui groupe les mécontens autour d’elle ; Venise, qui grandit isolée dans ses lagunes.

Cette période offre des difficultés qui ont dû fort embarrasser M. Ferrari. Comment se fait-il que la plus glorieuse cité d’Italie, l’immortelle Florence, échappe constamment aux lois qu’il croit avoir découvertes ? Ses seigneurs, s’ils ont une signification, marquent l’avènement de l’esprit moderne, qui répugne à la force. Que signifie donc cette ère brutale des condotiieri qui les efface, et où les armes reprennent leur empire ? Voilà le moyen âge qui recommence : il n’est plus question que de villes saccagées, de rébellions, de trahisons, de massacres. Les vieilles plaies de l’Italie se rouvrent, la civilisation s’arrête, la littérature disparaît. Est-ce bien le moyen âge ? Non, car désormais la victoire n’est pas au plus fort, mais au plus offrant ; c’est le progrès de la misère. « Jamais, dit l’auteur, on ne vit affluer sur le marché un plus grand nombre d’hommes prêts à se casser le cou à des prix plus modérés. » Ce sont les progrès de l’esprit de paix qui ressuscitent la guerre : les Italiens, fatigués de porter les armes, sont bien aises de trouver à peu de frais qui les porte à leur place. Rien de plus semblable au recul, et pourtant il y a un progrès réel dans l’intervention des idées commerciales d’offre, de demande, de crédit. Si l’héroïsme s’en va, personne ne le regrette : ne coûte-t-il pas aux hommes leur sang, aux peuples leur indépendance ? Pendant qu’on se bat pour eux, ou qu’on feint de se battre, car les mercenaires se ménagent d’un camp à l’autre, les Italiens s’essaient à une vie nouvelle, où « les lois du crédit, l’inviolabilité du créancier, le besoin impérieux de protéger l’industrie, de stimuler le commerce, d’exciter les échanges, d’encourager la spéculation, remplacent les anciennes garanties politiques par des garanties toutes sociales. La rente, cette lèpre bienfaisante, s’attache pour la première fois aux gouvernemens, comme une maladie incurable et progressive destinée à les faire pencher sans cesse vers les multitudes et à réaliser une loi agraire dont personne ne peut encore aujourd’hui prévoir les innombrables révolutions. »