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Remarquable coïncidence que celle de l’avènement du crédit, c’est-à-dire de la richesse, avec la plus effroyable misère qui fut jamais ! C’est le mal qui engendre le remède. La misère, en devenant générale, rend les peuples indifférens au bien de l’indépendance : ils font bon marché d’un isolement qui est leur ruine par la multitude de douaniers, d’employés, d’ambassadeurs, de courtisans qu’ils se voient forcés d’entretenir. Ainsi naît le désir des rapprochemens, et, comme on dit aujourd’hui, des fusions. Républiques et seigneuries disparaissent en foule, absorbées par les plus puissantes d’entre elles, sous cette loi de la faim, supérieure à l’ambition des républiques et des monarchies. Cette révolution n’a pas lieu sans secousses, sans réactions, sans retours, mais elle a lieu, et, à tout prendre, elle est salutaire, puisqu’elle diminue le morcellement de l’Italie.

Ainsi peu à peu la misère est chassée des seigneuries ; elle passe alors aux condottieri : double bénéfice pour l’Italie, double progrès. Débarrassés des révolutions, les seigneurs développent ou plutôt laissent se développer chez eux ce que nous appelons maintenant la prospérité matérielle. Ils apprennent à frapper qui les gêne et les trahit, à isoler les condottieri et leurs troupes, à négocier pour avoir la paix, en s’abstenant de victoires qui auraient doublé l’ascendant et les exigences des capitaines. On subdivise les commandemens, on soudoie des rivaux, on neutralise tous leurs efforts pour en revenir à la bienheureuse époque des rébellions, des séditions, de l’anarchie, et, ne faisant plus leurs frais, mercenaires et condottieri finissent par disparaître.

À la force militaire qui s’en va succède alors pour les derniers jours d’hégémonie celle qui résulte de l’union, de la fédération. Milan, Venise, Rome, Florence et Naples en deviennent les centres, Nicolas V prêche une croisade contre les Turcs, maîtres de Constantinople. La croisade manque, mais le rapprochement des villes amène le premier traité de paix générale qui ait été conclu en Italie. Par là se trouve supprimée à jamais, M. Ferrari le confesse, la lutte des guelfes et des gibelins. Les réactions qui s’essaient encore échouent misérablement. C’est une époque intermédiaire entre le moyen âge, dont aucun principe n’était péremptoirement nié, et le monde moderne, dont aucun principe n’était encore catégoriquement affirmé.

J’insiste sur cette fin des guelfes et des gibelins, car après eux le système de M. Ferrari ne trouve plus son application. Désormais on ne voit plus ces évolutions si régulières de l’action et de la réaction dans les villes italiennes, que se disputent la papauté, l’empire, l’Europe entière. Après vingt siècles d’un éclat incomparable, après avoir mené si longtemps le monde par les armes, la religion et les idées, voilà ce grand peuple qui s’arrête ! Le mouvement est ailleurs. En religion, ce n’est pas de son sein que naissent les Gerson et les Torquemada. S’agit-il de conquêtes lointaines ? l’Espagne et le Portugal sont au premier rang ; du mouvement des idées ? il est avec Wiclef et Jean Hus ; de la gloire des armes ? nous avons la France et la Suisse ; de l’unité et de la fédération ? l’Espagne est le modèle de l’une, et l’Allemagne de l’autre. Désormais l’histoire est au rebours : il faut observer en France et ailleurs les progrès de la force et les développemens de la pensée ; l’Italie n’a plus que des contre-coups. La décadence politique est incontestable à partir des inva-