mand, dont la voix devient d’autant plus claire et le chant plus robuste qu’il est mieux nourri. On lui donne à manger de la viande crue, hachée menu et pétrie avec du beurre. Remis en belle humeur par cette nourriture active, l’oiseau recouvre son haleine et se met à chanter, — Dieu sait quoi !… peut-être les satisfactions d’un estomac repu, — mais sur un mode* si tendre, avec un tel sentiment du rhythme, et d’un élan si passionné, qu’on oublie l’oiseau pour n’entendre plus que le musicien. Quel étrange poète que cet oiseau ! Qui n’a-t-il pas bercé et enchanté depuis qu’il existe, et que, libre ou prisonnier, il habite au milieu de nous ? N’est-ce pas l’âme éloquente des choses tendres, la musique même des sentimens humains ? Il a l’air d’exprimer ce que chacun de nous éprouve. L’amoureux retrouve en lui ses tendresses, celui qui souffre ses amertumes, la mère affligée ses désespoirs. « Chantre des nuits heureuses ! » a dit de lui un des plus inconsolables rêveurs de ce siècle. « Déjà, s’écrie le jeune Albano, le rossignol frappait du bec à la porte triomphale du printemps. » Le fumeur stupide écoute à sa manière cette chanson sans paroles qui le pénètre tant bien que mal à travers l’épaisseur de ses rêves. Me comprendrait-il, mon ami, si je lui disais qu’elle a fait pleurer un homme qui s’appelait Obermann du regret d’être seul" au bord d’un lac, de se sentir grand et faible, et de n’avoir pas vécu ?
Je suis entré l’autre jour au tribunal du kadi. J’ai vu comment est rendue la justice ; c’est une chose si facile, si intime et si familière, qu’on ne saurait imaginer de formalités plus attrayantes ni plus capables de faire excuser les procès. Le tribunal est situé rue de la Marine, dans la cour de la mosquée. La même porte mène au prétoire et à l’église, la même enceinte enferme la justice et la religion ; îe justiciable et le juge sont de la sorte aussi près que possible de l’œil de Dieu. La cour est dallée et fermée de balustrades à l’extrémité qui donne sur la mer. Au centre et faisant vestibule à la mosquée, parmi des arbustes, des rosiers, de grands bananiers constamment verts, s’élèvent une fontaine et deux pavillons. Le plus petit, le moins fréquenté, appartient au muphti, qui représente la cour d’appel ; l’autre, reconstruit il y a peu d’années, et par les soins de l’administration française, dans un style approximativement arabe, est la chambre de première instance, occupée par le kadi. L’auvent, très saillant et de forme asiatique, protège un large perron de deux marches, où les cliens déposent leurs savates et s’asseoient à l’ombre en attendant l’appel de leur cause. Une grande porte ouverte à deux battans permet au public d’assister de l’extérieur aux débats, et éclaire en même temps la salle, qui n’a pas d’autre ouverture. Cette salle, petite, carrée, blanchie seulement à