Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/264

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serrai cordialement la main. Nos chevaux, qui pendant ce temps-là fraternisaient, obéirent à l’éperon et nous séparèrent. Nous étions en plaine, et je pus apercevoir pendant une grande heure la croupe blanche de son cheval et son herbier, qui brillait au soleil comme un miroir.

Ainsi qu’ill’avait prévu, je l’ai rencontré deux fois depuis, dans ce même voyage : la première, au bord d’une source où, tout seul, il faisait sa grande halte ; la seconde, dans un douar où nous campions, et où lui-même arriva vers minuit. J’entendis un grand tumulte parmi les chiens et le pas d’un cheval qui s’arrêtait. Deux minutes après, quelqu’un souleva la toile de ma tente, et je vis paraître Vandell. Il éclaircissait alors un point d’histoire peu connu sur le séjour de la troisième légion romaine dans la province, et depuis un mois il rôdait dans les environs.

Aujourd’hui comme alors, il continue de battre le pays, toujours loin des villes, en dehors des chemins fréquentés, toujours seul et ne ralliant les douars que pour le coucher. La saison lui est indifférente, d’abord, je te l’ai dit, parce qu’il est aussi peu sensible à l’extrême froid qu’à l’extrême chaleur, et puis parce qu’il a organisé son travail de manière à employer le printemps et l’automne à de longues expéditions, l’été à de petites promenades circulaires, l’hiver à ce qu’il appelle son œuvre de cabinet. Cela veut dire que pendant les grandes pluies il s’enferme dans le premier douar venu ; il y reste huit jours, quinze jours, s’il le faut, roulé dans son burnouss et écrivant. De temps en temps il rassemble ses matériaux, très compliqués, très divers, quelquefois très abondans, et les dépose, au poste le plus proche, entre les mains d’un ami sûr. Il a dispersé de la sorte son trésor aux quatre coins de l’Algérie, et le jour où il se décidera peut-être à le réunir, il lui faudra entreprendre un dernier voyage, qui ne sera pas le moins long de tous.

Vandell est allé partout où peut aller un voyageur intrépide et inoflensif : il a vu tout ce qui mérite d’être vu ; il sait sur les trois provinces tout ce qu’une mémoire encyclopédique est capable de retenir. Grâce à la variété de ses connaissances, à l’étendue des services qu’il est en mesure de rendre, mais d’abord grâce à la bizarrerie de ses allures et à l’étrangeté de sa vie, il est aussi bien accueilli des Arabes que doit l’être un derviche doublé d’un tbeb (médecin). Aussi se montre-t-il impunément là où ne passerait pas un bataillon, n’ayant rien à craindre ni jour ni nuit, si ce n’est la distraction d’un coupeur de route. Son dénûmentfait sa sauvegarde. — Le plus sûr, me disait-il à ce propos, est de ne tenter personne. « Mille cavaliers ne sauraient dépouiller un homme nu. »

Il campait à peu de lieues de Taguin quand la colonne du duc