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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/29

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est le plus honteux appât que l’insolence humaine ait jeté à l’humaine crédulité. Néanmoins, malgré tant de différences à son avantage, nul doute que M. Buckle n’ait encore trop gardé de ce qu’il a puisé dans les ouvrages du fondateur du positivisme. Il lui en reste certainement une sorte de parti pris contre la théologie et la métaphysique, difficiles après tout à séparer de la religion et de la philosophie, en sorte que, bien qu’il parle de l’une et de l’autre avec une modération relative, il est entraîné à s’exagérer les différences qui séparent les divers états et les divers procédés de l’esprit humain, et à l’enfermer trop étroitement dans cette voie de l’empirisme scientifique qui ne conduit pas toujours à la connaissance de l’âme et de Dieu.

Nul ne professe plus ouvertement que moi les sentimens de reconnaissance et de fidélité témoignés depuis deux siècles par toutes les nations éclairées au génie libérateur du xvie siècle. Les efforts récens d’une ingratitude affectée envers les maîtres du savoir moderne, ces retours artificiels et puérils vers les préjugés du moyen âge font pitié, et il faut avouer que les premiers et les plus heureux pas de l’esprit des temps nouveaux ont été faits dans le champ des sciences de la nature. L’observation des phénomènes et l’examen par l’expérience sont les flambeaux qui ont jeté le plus de lumière sur les objets de nos connaissances. L’application de la science aux besoins de la société constitue la partie la moins contestable de ses progrès ; mais de là à conclure que l’inquisition scientifique soit la source unique ou presque unique de la civilisation, et que la seule ou meilleure méthode pour connaître les lois de l’esprit humain soit l’observation des résultats positifs de l’activité des hommes, la distance est grande à franchir, et il est impossible de dissimuler que M. Buckle n’a pas évité de tomber dans ces deux paradoxes. Il faut le regretter d’autant plus que cette vue trop systématique est ce qui l’a conduit à quelques assertions qui ont pu rendre suspecte la sagesse de son esprit et compromettre le succès de ses idées.

Ainsi c’est une croyance au moins fort générale que le cours des actions humaines est réglé par la Providence divine ou par la liberté de l’homme, et, si l’on veut, par l’une et par l’autre. Que de ces deux idées la première ne soit pas scientifiquement démontrable et soit plutôt inférée de l’idée d’une toute-puissance divine que de l’observation des faits, cela est possible, sans qu’on en doive rien conclure contre la vérité de cette croyance. Qu’en outre ce soit là une opinion plus propre à nous inspirer la confiance ou la résignation qu’à nous guider dans nos prévisions de l’avenir, puisque évidemment nous ne sommes pas dans les secrets de l’être suprême ; qu’elle n’ait guère par conséquent d’autre utilité pratique que de