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s’adressent particulièrement à la classe ouvrière, et dont la plupart jouissent d’une immense circulation[1].

Les anciennes brasseries abandonnent généralement à l’ouvrier le soin de faire et de gérer lui-même, comme il l’entend, ses économies. La maison Truman et compagnie au contraire a voulu développer chez ses administrés le sentiment de la prévoyance en fondant, il y a déjà plusieurs années, une caisse d’épargne. Cette institution a porté de bons fruits : je ne parle pas seulement des dépôts, qui s’élevaient dès 1854 à 12,000 livres sterling ; je parle surtout des habitudes d’ordre qu’elle a fait fleurir et des goûts de dissipation qu’elle a combattus. Dans les brasseries même où il n’existe pas de semblables institutions, la veuve et les enfans de l’ouvrier ne frappent point en vain à la porte de ces établissemens princiers, auxquels l’opulence rend plus facile l’exercice de la charité. Ce sentiment généreux n’est point absent non plus du cœur des ouvriers brasseurs, qui s’aident volontiers entre eux et sans bruit, car un des traits de la philanthropie anglaise est d’obliger sans faire valoir le prix de ses services. Peut-être sont-ils bons parce qu’ils sont forts. À un sang chaud aisément révolté contre l’injustice ou contre des actes d’inhumanité, — ils en ont plus d’une fois donné la preuve, — les ouvriers brasseurs joignent un fonds de sensibilité âpre et enjouée pour tout ce qui est faible, dénué, impuissant. Un enfant abandonné, il y a quelques années, à la porte d’une des grandes brasseries de Londres fut adopté par les ouvriers, qui se cotisèrent entre eux pour subvenir aux frais d’éducation. On l’appelait gaiement « l’enfant de la cuve, » the child of the vat.

La bière sort des brasseries pour se répandre dans les public-houses, où elle se vend au détail. C’est ici une nouvelle branche de commerce et un nouveau foyer d’observations qui n’est point à négliger, surtout s’il est vrai, comme le dit un physiologiste anglais, que le caractère d’un peuple se dévoile mieux dans les heures de récréation et de plaisir que dans le cercle même des affaires.


III.

L’étranger qui se promène dans les rues de Londres, ou dans la campagne, sur les grandes routes, doit avoir été frappé par la répétition des mêmes noms propres, écrits en lettres plus ou moins do-

  1. Cette grande diffusion des gazettes hebdomadaires et des écrits périodiques ne date, il est vrai, que de quelques années. Avant la suppression du timbre, l’ouvrier anglais ne lisait pas. Les philosophes et les moralistes, comme lord Brougham, réclament maintenant, dans l’intérêt de l’éducation publique, la suppression du droit qui pèse sur la fabrication du papier.