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Autorité, tradition, habitude, préjugé, hypothèse, métaphore, tous ces mots désignent des choses qui, secondées par l’imposture et la faiblesse, par la crainte ou par l’espérance, enfin par toutes les passions complices nées de nos erreurs, ont obscurci ou égaré la science humaine et retardé les progrès de l’esprit de civilisation. C’est bien faire que chercher et montrer les moyens de secouer tous ces jougs divers, encore qu’il ne fût pas sage de prétendre les supprimer, et de n’en pas tenir compte comme d’élémens permanens de la nature humaine et de la société humaine. S’il y a là des obstacles, il y a là aussi des puissances ; mais enfin toutes ces choses ou l’abus de toutes ces choses ont autant pesé sur l’esprit philosophique que sur l’esprit historique. La métaphysique en a autant souffert que la physique.

Lorsque l’on appelle de toutes les prétendues choses jugées à un nouvel informé, lorsque l’on suscite l’examen contre la tradition et que l’on indique à l’examen la voie de l’expérience, on dit une vérité qui depuis Bacon a cessé d’être un trait de génie, quoiqu’elle soit loin d’avoir fait dans le monde moral autant de chemin qu’il lui en reste à faire. Quelle révolution serait accomplie le jour où elle dominerait l’esprit humain sans partage ! Si l’on ajoute que le premier symptôme de l’invasion de l’esprit d’examen, c’est le doute, père de la curiosité, et qu’un certain scepticisme est le moteur interne de la science, l’assertion, grossièrement comprise, peut effrayer certains esprits, et les plus fermes exigeront qu’elle soit interprétée de manière à ne pas impliquer l’incertitude fondamentale des connaissances humaines. Pourvu cependant qu’on entende qu’il ne s’agit que de ce doute défini et conseillé par Bacon et par Descartes ensemble, assurément les moins sceptiques des hommes, nous ne sortons pas des voies battues de la philosophie moderne.

Platon a dit, il y a longtemps, que le premier sentiment qui conduise à la philosophie était l’étonnement. En effet, les sciences n’ont d’autre objet que la nature, et la nature, au sein de laquelle nous vivons, avec laquelle l’habitude familiarise dès l’enfance nos yeux et notre esprit, nous parait de bonne heure une chose toute simple, qui s’explique d’elle-même, et qui ne saurait sans miracle être autrement qu’elle ne nous semble. Notre irréflexion n’admire que le nouveau. En vain l’ordre commun des phénomènes est-il plein de mystères : l’idée ne nous vient guère d’en soupçonner l’existence ni de les ériger en problèmes. Le paysan, témoin assidu des mouvemens du ciel et des changemens de la terre, finit par regarder comme nécessaire cet inexplicable spectacle, et ne recherche ni les causes des effets qu’il observe, ni la raison des causes qu’il connaît. Il ne s’enquiert point d’où vient que les choses sont comme elles sont ; sa surprise ne commence que lorsqu’elles semblent cesser