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fin et transparent, ils faisaient passer tout un monde avec ses types, ses mœurs, ses traditions et ses légendes familières. De qui étaient ces récits, nés à l’improviste, toujours datés de Cadix ou de Séville, de Jerez ou de Puerto-Santa-Maria, jamais de Madrid? On ne le savait d’abord; on ne connaissait que le nom inscrit sur les premières pages, celui de Fernan Caballero, et ce nom avait l’air d’un déguisement provocant. Cherchait-on à détacher ce masque si bien porté, on ne retrouvait rien qui rappelât un des écrivains actuels de l’Espagne. Fernan Caballero restait un gracieux et poétique inconnu.

Autre question plus grave : le romancier nouveau était-il un homme ou une femme? Il y avait sans doute en certaines scènes une force virile, et puis l’auteur ne disait-il pas un peu cavalièrement quelque part qu’une femme écrivant un livre ressemblait à un homme qui mettrait au monde un enfant? Voilà bien de quoi troubler les présomptions hardies! Malgré tout cependant, l’inspiration féminine était sensible : elle se laissait apercevoir aux qualités et aux défauts, à l’inexpérience parfois et à la ténuité des inventions, comme aussi à la grâce des détails, à la délicatesse du pinceau, et surtout à l’art consommé avec lequel l’auteur se jouait de préférence dans la peinture des caractères féminins. Fernan Caballero était effectivement une femme, — on n’a point tardé à l’apprendre, — une femme d’un rang assez élevé pour n’être étrangère à aucune des élégances du monde, d’un esprit assez curieux, assez sympathique pour tout voir, pour tout comprendre dans cette Andalousie qu’elle habitait, et d’un talent naturel assez ferme pour tout reproduire. C’était une femme alliée par un premier mariage à la noblesse de Séville; elle se rattachait à l’Allemagne par son père, M. Bohl de Faber, commerçant de Hambourg fixé à Cadix, et plus connu encore comme bibliographe éclairé, comme auteur d’une collection de poésies castillanes. Elle était tout Espagnole par sa mère, qui avait été mêlée, dit-on, aux polémiques littéraires du commencement du siècle. Fernan Caballero a eu un tel succès qu’une édition de ses œuvres se fait aux frais de la reine Isabelle, et que l’auteur réside aujourd’hui à l’Alcazar de Séville comme gouvernante des infans de Castille. On a raconté la vie douloureuse et opprimée de miss Brontë, cette Anglaise éloquente qui a intéressé tous les esprits par des œuvres d’une sagacité poignante, d’une véhémence passionnée[1]. L’auteur de la Gaviota, d’Elia, de Simon Verde, Fernan Caballero en un mot, ressemble à l’écrivain anglais caché sous le nom de Currer Bell par le sexe, par la spontanéité du talent et par

  1. Voyez la Revue du 1er et du 15 juillet 1 857.