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non en arrière comme un lâche. — Je ne puis le faire, s’écria Perico. Si vous saviez... — Le capitaine étendit le bras, faisant un geste impératif pour imposer silence à Perico, et ajouta : Ici chacun a son secret en lui-même comme sous un pli scellé, sans que cela excite la curiosité ou l’intérêt des autres. Si vous ne savez où aller, demeurez avec nous : nous défendons ici l’unique chose qui nous reste, notre vie. Pour moi, je ne la défends pas pour ce qu’elle vaut, mais pour ne pas la livrer au bourreau. — Mais volez-vous? dit Perico. — Il faut bien faire quelque chose, répondit le bandolero en se retournant comme la tortue pour se remettre sous son âpre et dure enveloppe. Perico n’accepta ni ne refusa. C’était une masse inerte et sans volonté; le hasard disposait de sa misérable existence, comme le vent du désert du sable lourd et aride. »

Telle est la destinée nouvelle de Perico: c’est un bandit sans le vouloir. Sa conscience est assaillie par tous les souvenirs du bien. Cette lutte intérieure éclate dans une scène suprême. Une vieille bohémienne est venue avertir Diego et sa bande qu’il y avait une église à voler :


« Sublime et redoutable spectacle, dit l’auteur, que celui d’une église déserte à une heure avancée de la nuit! Combien ces sombres nefs paraissent immenses et terribles! Comme semblent hautes ces arcades, qui, soutenues par des géans de pierre, se perdent dans la mystérieuse obscurité d’un ciel sans étoiles!... Là rien ne distrait l’esprit. Cette complète immobilité, ce silence ininterrompu forment comme une suspension de la vie, qui n’est point la mort, qui n’est point le sommeil, mais qui a de celle-là la solennité et de celui-ci la douceur. Telle était l’église d’Alcala lorsque les bandits y entrèrent, éclairés par la lanterne de l’horrible gitana et poussant devant eux le malheureux Perico.

« — Lâchez-le, et fermez, barricadez cette porte, dit Diego.

« — Il va crier et nous faire découvrir, répondirent les autres.

« — Lâchez-le, vous dis-je, reprit le capitaine : qui l’entendra et que peut-il arriver?

« — Il peut crier, répliqua Léon, qui, aidé par la gitana, dépouillait déjà le maître-autel de ses ornemens.

« — Ayez l’œil sur lui, dit le capitaine. — Et aussitôt deux de ses hommes, les plus timides sans doute, ceux qui répugnaient le plus à mettre la main sur les choses saintes, s’approchèrent de Perico. Celui-ci, qui, comme tous les hommes accoutumés à se contenir, était impétueux et irrésistible lorsque des circonstances extraordinaires l’arrachaient à lui-même, éclata en recouvrant son énergie.

« — A bas les chapeaux, hérétiques! vous êtes dans la maison de Dieu.

« — Vite! un bâillon! cria le capitaine furieux. A l’instant même, on lui mit un mouchoir sur la bouche en désarmant sa résistance; mais quoique le mouchoir l’étouffât, en voyant la gitana et Léon briser la porte du tabernacle, Perico fit un effort désespéré et tomba à genoux en criant :