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— Sacrilège ! sacrilège ! Cri terrible qui parcourut les chapelles, retentit sous la voûte comme le tonnerre dans la nue, et qui, en réveillant le grand et sonore instrument qui accompagne l’imposant De Profundis et le glorieux Te Deum, alla se perdre dans les tubes de métal comme un douloureux gémissement. Ces misérables eurent un mouvement de terreur froide. Diego lui-même trembla; mais, bientôt remis, il s’approcha furieux de Perico, le jeta contre les dalles, le foula aux pieds, le maudit, et donna l’ordre aux autres de le tuer à coups de crosse, s’il proférait un mot. Le malheureux, à terre et maltraité par les bandits, balbutiait encore :

« — Miséricorde, Seigneur! miséricorde!

« — Tuez-le s’il souffle, répéta Diego, et faisons vite, car la nuit s’éclaircit déjà, et on peut nous voir sortir. — Effectivement les nuées s’entr’ouvrirent, et un rayon de la lune, entrant en ce moment par une des hautes fenêtres de l’église, alla baiser le pied d’une image miraculeuse de l’immaculée conception.

« — Maudite lune ! s’écria la gitana en proférant d’horribles imprécations. — Et tous, effrayés de se voir les uns les autres au reflet de cette clarté soudaine, se hâtèrent dans leur œuvre de pillage et consommèrent le sacrilège. Ils sortirent enfin, et lorsque la gitana les eut vus partir à cheval avec leur butin, elle retourna se cacher dans la terre... »


Le dénoûment de la scène de l’église d’Alcala, c’est que les bandits sont bientôt pris, livrés par un d’entre eux, le presidiario, qui coupe les jarrets du cheval du capitaine pour que celui-ci ne puisse se sauver, et Perico lui-même va expier sur la place de Séville les crimes dont il n’a été que l’involontaire complice. Le vieux Pedro, le père de Ventura, mourut dans l’année à des Hermanas. Elvira s’éteignit le jour où l’on apprit l’exécution de son frère, et sa mère Ana ne tarda pas à la suivre. La maison Alvareda fut désormais triste et vide. Le vieil oranger se dessécha dans le patio, et le pauvre chien Melampo, le jour où on enterra sa maîtresse, se mit à hurler tristement et se laissa mourir de faim à sa place accoutumée. Aujourd’hui il n’y a plus dans le champ d’oliviers voisin qu’une petite croix rouge plantée à l’endroit où tomba Ventura, « le plus beau garçon qui eût foulé la terre de des Hermanas, tué par celui qui était le plus homme de bien et d’honneur. » — « Comment cela est-il arrivé? dit le marquis de ***, interrogeant celui qui parle ainsi. — Le vin et les femmes, señor, la cause de tous les malheurs, répond le capataz en se découvrant devant la petite croix. » Voilà le squelette du drame, et ce drame vit par la grâce des détails, par le charme des peintures.

Que Fernan Caballero raconte les malheurs des Alvareda ou les simples et pathétiques aventures de Pauvre Dolorès; qu’il décrive les mœurs des côtes ou les rustiques sites de Villamar, de Val-de-Paz, de Val-de-Florès; qu’il retrace toutes ces vivantes physionomies