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veux, il est facile de dire : A tel moment, la glande devient plus active parce qu’elle reçoit l’influx nerveux en abondance; mais quelle cause appréciable agirait sur la production du liquide nerveux? Puis, lorsqu’il faudrait expliquer les intermittences des sensations, les mouvemens rhythmiques, les contractions volontaires, on serait fort embarrassé. De quelque côté que le problème soit considéré, des difficultés qui semblent bien près d’être des impossibilités apparaissent et forment dans l’état actuel de la science un dédale inextricable.

Il vaut mieux, avec M. Bernard, se contenter des faits observés, en observer de nouveaux, et attendre. Autant le successeur de Magendie est hardi lorsqu’il opère, autant il est timide lorsqu’il faut conclure, et l’on ne trouve dans son livre ni une affirmation, ni une hypothèse sur ces points délicats. Il faut se résigner à l’incertitude, et arriver à cette conclusion presque inévitable après la lecture des livres scientifiques : une grande admiration pour ce que l’on a déjà fait, un grand étonnement qu’il reste tant à faire. Dans cette science surtout, la précision et l’exactitude des observations et des expériences sont plus grandes que la clarté du résultat, et pour bien des esprits la clarté vaut mieux que la précision. On regrettait ici même, il y a peu de jours, que les physiciens ne fussent que des expérimentateurs, et l’on exposait d’une manière supérieure comment la science positive devait ramener d’elle-même à la théorie. La difficulté consiste surtout à bien connaître le moment où cette transition est raisonnable et où l’on peut se permettre les généralités. Les physiologistes modernes sont donc obligés, dans l’état actuel de la science, de se contenter d’être précis dans l’exposition de leurs expériences et sévères pour les hypothèses, de collectionner des faits certains et de peu conclure. Notre génération ne connaîtra sans doute point l’explication véritable et claire des phénomènes de la vie et du système nerveux, mais il n’en résulte pas nécessairement que la physiologie ne soit pas une science avancée. Si elle n’a pu encore découvrir la cause des phénomènes qu’elle décrit, les physiciens connaissent-ils mieux la pesanteur, les chimistes la cohésion ou l’affinité, les philosophes la nature de Dieu et l’essence de l’âme?


PAUL DE REMUSAT.