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propriétaire de troupeau métis ou indigène de faire châtrer tous les siens, le tout sous peine de confiscation des animaux et d’une amende de 100 fr. à 1,000 francs, et du double en cas de récidive. Comme de juste, ces prescriptions n’eurent d’autre effet que de vexer les éleveurs et d’entraver le progrès des troupeaux. Nous voilà de nouveau bien loin de la loi de 1791.

Si quelque chose a droit d’étonner, c’est que la culture n’ait pas été plus complètement abandonnée, soit sous la république, soit sous l’empire. Il faut que la race énergique des cultivateurs soit douée d’un véritable acharnement pour avoir résisté à tant de causes de dispersion. Disons aussi que les idées de 1789, proscrites à la surface, descendaient lentement dans les profondeurs nationales et y prenaient racine. Même au moment où les gouvernemens les violaient ouvertement par leurs actes sous l’excuse apparente de la nécessité, ils continuaient à les arborer comme drapeaux, ce qui entraînait à leur donner quelques satisfactions de détail. Elles en ont reçu sous le consulat de nombreuses et d’effectives; la plus grande de toutes a été la rédaction de nos lois civiles, où l’esprit de 1789 est partout visible, et qui, malgré des exagérations et des lacunes dues pour la plupart au mélange de l’esprit révolutionnaire, offrent le plus beau corps de législation qui soit au monde. Ce sont ces lois qui, en réalisant une moitié des promesses de 1789, ont compensé en partie la perte de l’autre.

Ces aperçus généraux se trouvent confirmés par les faits, si l’on essaie de comparer les produits de l’agriculture en 1789 et en 1815. En 1789, la statistique naissait à peine, les documens qui nous restent de ce temps ne nous font connaître qu’imparfaitement la production. Ce que nous possédons de plus complet, outre le voyage d’Arthur Young, est l’extrait d’un grand travail préparé par Lavoisier et ayant pour titre : Richesse territoriale du royaume de France. L’ouvrage proprement dit n’a jamais été fini, mais l’extrait a été lu au comité de l’imposition de l’assemblée nationale en 1791 et imprimé par son ordre. L’auteur était lui-même député et commissaire de la trésorerie; il avait été fermier-général, agronome éminent, et s’était occupé toute sa vie de ce qu’on appelait alors l’arithmétique politique. Son travail se présente donc avec les caractères d’une œuvre sérieuse, et s’il ne peut être également adopté dans toutes ces parties, il offre au moins un excellent sujet de discussion. Or, d’après Lavoisier, le produit total de l’agriculture en 1789 était de 2 milliards 750 millions. J’admets cette évaluation, qui me paraît exacte; j’en retrancherais seulement 150 millions pour tenir compte de quelques exagérations. Ainsi Lavoisier porte le prix du blé à 24 livres le setier ou 16 francs l’hectolitre, ce qui était en effet alors le prix moyen du froment; mais il dit lui-même que sous ce