Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/464

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la France en 1789 avec celui de nos jours, on ne peut qu’éprouver des regrets sur la différence qui marque ces deux époques. La perte de nos plus belles colonies nous a privés à la fois de débouchés considérables et de moyens d’échange pour notre commerce avec l’étranger; nos établissemens dans les échelles du Levant et de Barbarie ont disparu. La suspension des relations commerciales entre les peuples leur a fait prendre de nouvelles habitudes ; tout est donc à recréer. »


V.

Voilà où la France en était après vingt-cinq ans d’efforts surhumains. Elle n’avait pas fait plus de progrès que dans les quinze années du règne de Louis XVI. L’agriculture n’avait augmenté ses produits que de 20 pour 100, l’industrie de 40 pour 100. J’ai du remplir un pénible devoir en montrant les suites des excès révolutionnaires et des guerres impériales; ce qui me reste à dire est plus agréable. A partir de 1815, le mouvement se précipite. Bien que l’empire ait laissé derrière lui de lourdes charges, un milliard à payer aux étrangers pour les frais de la guerre et un autre milliard d’arriéré à solder, bien que la lutte envenimée par les souvenirs du passé entre les élémens de la société française ait amené en 1830 une nouvelle secousse, la prospérité publique s’est accrue de 1815 à 1848, car le temps n’est pas encore venu d’apprécier en pleine connaissance de cause les années qui ont suivi, sinon sans intermittence, du moins sans interruption prolongée, et parfois avec de rapides et magnifiques élans. Le commerce extérieur a quintuplé, l’industrie a quadruplé ses produits[1], et l’agriculture, moins prompte par sa masse, a presque doublé les siens. C’est que les principes de 1789, qui se résument en trois mots : paix, justice et liberté, ont pris de plus en plus, depuis 1815, possession de la société française; ils ont toujours à lutter contre les mêmes ennemis, qui ont quelquefois encore l’air de les vaincre, mais leurs éclipses ne sont jamais aussi complètes que par le passé, et dans tous les cas elles sont plus courtes. Si leur triomphe n’est pas complet et définitif, il est certain, comme ces majestueuses marées dont les flots ne reculent par intervalles que pour revenir plus haut et plus loin.

Nous ignorons quelle était exactement en 1789 la distribution de la propriété. Nous savons seulement en gros que le clergé possédait le sixième du sol, ou 8 millions d’hectares environ, l’état et les communes 7 autres millions d’hectares, et que la noblesse, le tiers-état

  1. On en jugera par un seul fait. Nos manufactures employaient en 1816 12 millions de kilos de coton en laine ; elles en ont employé en 1850 72 millions de kilos.