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emportement chimérique dénonçaient en lui, il y a dix ans, un ennemi de la liberté sont forcés de saluer aujourd’hui dans son avènement la bonne fortune du libéralisme prussien.

La constitution de 1850 n’était point faite, il en faut convenir, pour conquérir une rapide et universelle popularité dans les circonstances où elle fut promulguée. Les partis étaient alors dans cet état d’effervescence qui leur fait perdre l’intelligence et le goût des transactions et des moyens termes. La Prusse subissait du reste une de ces humiliations qui ne permettent point aux peuples de conserver leur bonne humeur. Elle venait, après les visions de l’unité germanique et de l’empire allemand, de reconnaître, sous la pression de la Russie, la suprématie autrichienne dans la confédération. Du beau rêve de l’unité allemande tomber dans la constitution de 1850, c’était pour le parti démocratique une chute si cruelle qu’il dut confondre dans la même réprobation la constitution avec les causes de sa défaite. Quant au parti féodal, la constitution venait le surprendre dans son triomphe et mettre, ne fût-ce qu’en perspective, des bornes à ses envahissemens. La charte fut pour lui un objet de haine et de mépris. Ce parti, avec une audace qui ne peut s’expliquer que par les sympathies qu’il rencontrait dans les bizarres théories politiques du roi Frédéric-Guillaume, déclarait la guerre aux tendances les plus prononcées, aux aspirations les plus légitimes de ce siècle. Il détestait cette activité industrielle et commerciale qui n’accroît pas seulement la puissance collective des sociétés contemporaines, mais qui, au sein de ces sociétés, tire de l’océan populaire et fait monter sans cesse au plus haut niveau de l’influence sociale et politique une multitude d’hommes nouveaux et d’énergiques plébéiens. Il en était en religion aux intolérances du XVIe siècle. Sacrifiant le patriotisme à ses théories sociales, il voulait faire de l’empereur de Russie l’Agamemnon de l’Europe, le fléau impitoyable des idées et des intérêts de la liberté, le tuteur et le gardien invincible de tous les despotismes. Comment il accoutrait un pareil esprit de haine contre le génie du XIXe siècle, ce qu’il y mêlait de spéculations mystiques, d’oripeaux poétiques, de romantisme gothique, on l’a exposé plusieurs fois dans la Revue. Nous avons également montré à l’œuvre, notamment pendant les négociations qui ont accompagné la guerre d’Orient, le misérable esprit de commérage et d’intrigue que le parti féodal déployait à la cour de Berlin. Pour cette secte de hobereaux, la constitution n’était qu’une impertinence confiée à un chiffon de papier. La Prusse, suivant ces énergumènes, n’était point faite pour les constitutions. Qu’était-ce d’ailleurs qu’une constitution qu’on peut mettre dans sa poche, comme disait M. de Maistre? On s’en débarrasse quand on veut par un coup d’état. Mais, pour enlever son efficacité à la constitution de 1850, le parti de la croix n’avait pas même besoin de la force : la ruse lui suffisait. Secondé par un ministre qui ne lui appartenait pourtant point, mais dont l’esprit judicieux était perpétuellement trahi par un caractère faible et pliant, le parti féodal avait réussi à enchaîner la presse et à fermer ou à corrompre les issues de l’opinion publique par un système honteux de restrictions, d’espionnage et de police. En somme, où l’influence du parti de la croix, l’inconsistance affairée et effarée du roi, la docilité énervée de M. de Manteuffel avaient-elles conduit la Prusse? A l’intérieur, la nation perdait progressivement son énergie et l’initiative qui est sa vocation