Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/478

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ficultés de cette bizarre condition du pouvoir devenaient plus sensibles. Ceux qui étaient intéressés à ramener les choses à l’état régulier, les libéraux, demandaient la constitution d’une régence. Ceux qui étaient intéressés au maintien du statu quo, les ministres et le parti de la croix, s’ingéniaient à trouver des raisons pour empêcher qu’on n’eût recours à une régence, redoutant l’effet certain de l’antipathie qu’ils inspiraient au prince de Prusse. Le parti de la croix crut avoir trouvé un argument tout puissant contre la régence dans cette charte de 1850, si méprisée par lui. L’article 56, qui pourvoit à la nécessité d’une régence, limite cette nécessité au cas où le roi serait réduit à l’incapacité permanente de prendre part aux affaires. La camarilla et les hobereaux triomphèrent d’abord : qui oserait déclarer que la maladie du roi était inguérissable et créait une incapacité permanente? Ils ne s’apercevaient pas que, bonne ou mauvaise, l’objection était tirée de la constitution, leur ennemie. Ce fut le parti de la croix, qui, par un de ces contre-sens de conduite qui pullulent dans la vie des partis extrêmes, tira ainsi de l’oubli et remit en honneur la constitution, dont le texte était ignoré à peu près de tout le monde. La constitution eut, grâce aux absolutistes, une vogue soudaine. Les boutiques de libraires étaient assaillies de gens qui venaient l’acheter. En retournant dans tous les sens les mots invoqués par les hobereaux, « si l’incapacité est permanente, » on s’habitua de toutes parts à demander la régence en invoquant la constitution. Le mouvement de l’opinion devint bientôt irrésistible : les ministres durent y céder, et les hobereaux aussi, furieux d’avoir, par une maladresse, donné un éclatant prestige, aux yeux du public, à ce malheureux chiffon de papier où l’opinion libérale trouvait enfin un invincible talisman.

Il faut rendre à la nation prussienne la justice qu’elle mérite : aucun mauvais sentiment ne s’est allié à l’élan pacifique qu’elle a pris dans cette circonstance vers la liberté constitutionnelle et l’honnêteté politique. L’opinion qui exigeait la, régence n’a pas voulu cependant, par un sentiment d’affection et de respect pour la personne du roi, que ce grand acte fût accompli en vertu seulement de la constitution et à l’exclusion de l’intervention royale. Comment a-t-on obtenu du souverain malade sa signature au bas de la lettre qui confère la régence au prince de Prusse ? C’est un mystère que nous n’essaierons point de pénétrer. La reine, qui approchait seule l’auguste malade, personne ne l’ignorait, favorisait la politique du parti féodal. Aussi n’est-il point surprenant que le document signé par Frédéric-Guillaume ne mentionne point la constitution. Mais la publication de cette lettre fut suivie d’une proclamation du régent où l’omission était amplement réparée. « En conséquence, disait le prince, de la requête de sa majesté et conformément à l’article 56 de la charte de 1850, je prends la régence. » Ainsi, on peut le dire, a été consacrée la constitution prussienne par l’invocation victorieuse que l’opinion publique en a faite, et par la série d’actes solennels qui, conformément à la charte, ont accompagné la proclamation de la régence : nous voulons parler de la convocation des chambres et du serment prêté par le régent. Tels sont les faits qui donnent à la charte de 1850 le caractère libéral d’un pacte constitutionnel entre le peuple prussien et la famille du prince de Prusse.

On voit qu’en dépit des sceptiques et des absolutistes, les constitutions,