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tout à fait en pleins champs, et que je puis voir d’ici, plantée sur la colline, entre deux cyprès, la tour municipale de ma mairie.

La maison que j’habite est charmante. Elle est posée comme un observatoire entre les coteaux et le rivage, et domine un horizon merveilleux : à gauche Alger, à droite tout le bassin du golfe jusqu’au cap Matifou, qui s’indique par un point grisâtre entre le ciel et l’eau ; en face de moi, la mer. Je découvre ainsi tout un côté du Sahel et tout le Hamma, c’est-à-dire une longue terrasse boisée, semée de maisons turques et doucement inclinée vers le golfe. Une petite plaine, étroite et longue comme un ruban, la rattache au rivage. C’est un pays de bocage, fertile, humide, presque partout marécageux. On y voit des prairies, des vergers, des cultures, des fermes, des maisons de plaisance aux toits plats, aux murs blanchis, des casernes transformées en métairies, d’anciens forts devenus des villages, le tout sillonné de routes, clair-semé de bouquets d’arbres et découpé par d’innombrables haies de cactus et de nopals toutes pareilles à des broderies d’argent. À l’endroit où le Sahel expire, vers l’embouchure de l’Arrach, on peut apercevoir, quand le soleil le fait briller, le massif un peu blanchâtre de la Maison carrée. Plus près du cap encore, on voit briller des étincelles à fleur d’eau : c’est un petit village maltais nommé le village du Fort de l’eau ; malgré la fièvre, il prospère à quelques pas de l’endroit où la flotte de Charles-Quint prit terre et où son armée périt. Derrière la Maison carrée, on devine une étendue vide et sans mouvement, un grand espace où l’azur commence, où l’air vibre continuellement : c’est l’entrée de la Mitidja. Enfin tout à fait au fond, dans l’est, la chaîne dentelée et toujours bleue des montagnes kabyles ferme, par un dessin sévère, ce magnifique horizon de quarante lieues.

Alger se montre à l’autre extrémité du demi-cercle, au couchant, déployé de profil et descendant par échelons les degrés escarpés de sa haute colline. Quelle ville, mon cher ami ! les Arabes l’appelaient El-Bahadja, la blanche, et comme elle est encore la bien nommée ! À vrai dire, elle est déshonorée, puisqu’elle est française. L’enceinte hautaine de ses remparts turcs, cette vieille ceinture ardente et brunie, est brisée partout, et déjà ne la contient plus tout entière ; la haute ville a perdu ses minarets, et peut-être y pourrait-on compter quelques toitures. Toutes les nations de l’Europe et du monde viennent aujourd’hui, par tous les vents, amarrer leurs navires de guerre et de commerce au pied de la grande mosquée ; Bordj-el-Fannar n’effraie plus personne, et se pavoise du drapeau tricolore en signe de ralliement. N’importe, Alger demeure toujours la capitale et la vraie reine des Moghrebins. Elle a toujours sa Kasbah pour couronne, avec un cyprès, dernier vestige apparent