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William Spentley avait sans doute partagé cet avis; mais il avait voulu traiter trop durement ces cavaliers indisciplinés. Hautains et froids, les Anglais se font généralement détester de leurs milices étrangères. Des désordres avaient éclaté dans le régiment de William, et le général avait jugé utile qu’il s’éloignât de Chumla pour quelque temps. C’était un joli cavalier que William Spentley, monté sur une forte jument de Transylvanie. Il portait un pantalon amarante à double bande d’or et une longue redingote à brandebourgs. Une casquette rouge sans visière et garnie d’un large galon d’or faisait ressortir la blancheur de son teint britannique et l’éclat de ses yeux bleus. Ses tempes étaient garnies de cheveux d’un blond clair et vif. La fermeté de son caractère se lisait sur son visage; ses voyages avaient commencé dès sa première jeunesse. Il avait servi aux Indes, et s’y était acquis la réputation d’un des plus habiles chasseurs d’éléphans. Il avait guerroyé au cap de Bonne-Espérance, et conduit contre les Cafres des bandes de naturels armés en partisans. Il avait enfin suivi comme amateur les colonnes françaises dans leurs campagnes de Kabylie. William avait un extrême sang-froid, non pas celui qui naît d’un tempérament flegmatique, mais celui qui vient d’un jugement prompt et d’un esprit fertile. Il ne doutait de rien, sachant que toujours son imagination lui fournirait le plus sûr moyen de se tirer d’affaire. Comme la plupart de ses compatriotes d’ailleurs, il professait la plus suprême insouciance pour les opinions du monde. Il ne reconnaissait d’autre juge que lui-même, et prenait son plaisir où il le trouvait.

Spentley et Nourakof avaient fait connaissance depuis quelques jours seulement. Deux hommes s’attachent vite l’un à l’autre, quand ils se rencontrent en voyage dans des pays lointains, deux militaires surtout. Dans de telles circonstances, les Anglais eux-mêmes se relâchent de leur cant et oublient vite ce qui a pu manquer à la régularité des présentations. Quant aux gentilshommes russes, ils sont d’un caractère particulièrement liant et communicatif. Placés dans leur nation bien au-dessus des autres hommes, ils sont trop solidement assis dans leur noblesse pour craindre d’être compromis, si par hasard ils ont serré une main douteuse. La sympathie était donc grande entre le capitaine aux gardes et le major des bachi-bozouks. A des manières élégantes et polies, à un tour de conversation délié et original, à une imagination mobile et enjouée, Nourakof joignait une grande droiture d’âme. Chez lui, le vif sentiment du devoir n’était jamais obscurci par les délicatesses de l’esprit ou par les subtilités de la passion. Plein de mesure et d’entregent dans le cours habituel de la vie, il était rapidement ramené, dès que les circonstances devenaient graves, à l’expression énergique de la vérité.