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dant la permission de les tuer là même, dans la cour du palais, comme pour le compromettre lui aussi, le clouer à leur tête, de leur cause faire la sienne, il laisse tomber de ses lèvres blêmes ces mots, qui ont failli lui coûter le peu de jours qu’il doit vivre encore : « Faites-en ce que vous voudrez! » Voilà tous les vestiges de ce prétendu règne du Grand-Mogol, règne qui a duré quatre mois en tout, et dans les plis sanglans de son linceul mortuaire a pour jamais enfoui la vieille dynastie de Tamerlan.

A l’heure qu’il est, — si l’on nous permet d’empiéter sur les événemens dont nous avons entrepris le récit, — veut-on savoir ce qui en reste? Il y a quelques mois, le spirituel rédacteur du Times, M. Russell, parcourait en compagnie du commissaire en chef de Delhi, M. Saunders, le Chandny-Chowk, la principale rue de la ville, comme qui dirait notre rue de Rivoli. En déviant à droite, les deux promeneurs arrivèrent devant un magnifique mur crénelé, bardé de tours, orné d’un portail ouvré comme le bracelet d’une élégante Parisienne. Un petit montagnard ghourka, tout habillé de vert, coiffé d’une espèce de toque bordée de tartan rouge, montait la garde devant les portes de fer incrustées de bronze. Il porta les armes au commissaire, et nos promeneurs pénétrèrent sans autre formalité dans les cours du palais. Au centre de l’une d’elles, — la seconde, — un vieil arbre mutilé recouvre une vasque sans eau, à demi détruite. «C’est là!... » dit M. Saunders à son hôte. C’est là effectivement qu’après plusieurs jours d’angoisses, les captifs chrétiens reçus par le padischah, et à qui sa protection était due, ont été lâchement livrés par lui et massacrés par les cipayes en révolte. M. Russell fut ensuite conduit par un passage voûté dans le Dewan-khass, la salle du trône. Là, dans ce lieu sacré, splendide, où le pontife suprême rendait ses oracles, le roi des rois ses décrets, où le poète couronné promulguait son hymne pieux, son cantique d’amour, une centaine de soldats bivouaquaient, lavaient leur linge, raccommodaient leurs fournimens. Un fusilier irlandais, les manches de sa chemise retroussées, griffonnait une lettre à sa belle. Aux lambris sculptés «si finement qu’on dirait de la dentelle, » les carabines Enfield s’appuyaient; aux colonnes de marbre blanc sur lesquelles, parmi les arabesques, des versets du Koran sont gravés, et qui s’émaillent de fleurs en topazes, en améthystes, en cornalines, avec leur feuillage d’émeraudes et d’aigues-marines, pendaient les cartouchières, les gibernes, les ceinturons, les sabres, les baïonnettes, panoplies grossières et menaçantes. Sur les murs, quelques ébauches au charbon, gaietés graphiques de soldats inoccupés, des profils grotesques, tous décorés du même nez monstrueux : autant de portraits du padischah, du Grand-Mogol, de la lumière du monde. Comme M. Russell se laissait aller à quelque rêverie : « Allons, lui