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tisme agonisant sur le talent de M. Feuillet, et je cherche si quelque autre influence a eu action sur lui. Généralement, après l’impression passive et fatale que laisse en nous le spectacle du monde à notre entrée dans la vie, l’influence dont l’action est la plus forte, c’est l’opinion que nous nous sommes formée de la nature humaine, notre manière de penser sur les hommes et les choses. Bien des élémens divers contribuent à former cette opinion, notre tempérament d’abord, les passions de notre chair et de notre sang, et surtout les accidens de la vie, les épreuves ou les triomphes prématurés. L’influence qui modifie le plus profondément notre intelligence, c’est donc notre propre biographie, notre propre histoire. J’ignore, à l’exception de quelques détails, la biographie de M. Feuillet, mais je suis porté à croire qu’elle ressemble à l’histoire des peuples heureux. Il n’a pas connu les sentiers escarpés de la vie, il n’en a connu que la grande route. Des succès mérités ont marqué jusqu’à présent, comme des bornes milliaires, les étapes de son voyage. Il a entouré son existence de tranquillité et de sécurité. Il n’a pas eu de fiévreuses impatiences, car on peut dire qu’il n’a pas eu besoin d’attendre. D’autres, pour être remarqués, ont besoin d’arriver; mais lui a été remarqué dès le jour du départ. De là un des caractères les plus curieux du talent de M. Feuillet : l’optimisme. L’optimisme est essentiellement l’opinion de M. Feuillet sur la nature humaine; il aime à la juger avec bienveillance, il ne voudrait pas croire au mal, et lorsqu’il le rencontre par hasard, il s’applique à l’atténuer le plus possible. Le mal n’a aucune puissance dans ses romans et ses comédies, les mauvaises actions y ressemblent à des espiègleries, et les méchans caractères à des personnages un peu malades. Méchans caractères est d’ailleurs un mot bien fort, car le mal chez lui prend plutôt la forme de la médiocrité, de l’étourderie, de la vulgarité. M. Feuillet semble penser que, lorsque les hommes sont méchans, c’est qu’ils n’ont pas assez d’esprit. Je crois qu’il se trompe. Je ne reprocherai pas à M. Feuillet son optimisme, car dans ma pensée l’optimisme est une bonne manière, et très acceptable, de juger la nature humaine; seulement son optimisme me semble trop timide, pas assez radical. On ne se trompe pas plus en déclarant l’impuissance du mal qu’on ne se trompe en déclarant le pervertissement absolu de l’âme, et certainement les anges et les démons sont les seuls êtres qui aient une opinion vraie et profonde sur la nature humaine. Mais l’optimisme de M. Feuillet n’est pas celui des anges, il semble admettre le combat des deux élémens, et cependant il lui répugne de croire à leur lutte prolongée, et il couvre de son indulgence des choses qui eussent ravi d’aise le diable lui-même. Chez lui, les ardeurs sensuelles du tigre