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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/691

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des assemblées : — les premières gens qu’on y rencontre, alignés au bord des fossés, sont des aveugles, des bandits et des bohèmes de toute robe et de tout pelage... Que d’impatiens s’en tiennent à cette compagnie, et jugent bravement la fête sur les ignobles dehors, — le logis sur l’antichambre! Que de prétendues études de mœurs n’ont décrit que celles des laquais! » Et cet autre trait si gaiement exprimé sur l’inquiétude moderne : « C’est un âge singulier que celui où nous vivons. Nous sommes tons agités et paresseux comme des gens qui vont se mettre en voyage. Le monde va-t-il finir? »

J’ai moins à dire sur les Scènes et Comédies que sur les Scènes et Proverbes. Cela ne signifie point que cette seconde série d’œuvres vaille moins que la première; au contraire, elle est supérieure, et c’est précisément pour cette raison que je puis en parler plus brièvement. Les petites pièces qui dans ce volume entourent l’œuvre capitale de l’auteur, Dalila, comme de brillans satellites escortent une planète, ne sont pas supérieures comme finesse d’analyse et délicatesse de pensée aux premiers proverbes, mais elles sont supérieures, à mon avis, comme art et habileté. Il n’y a plus trace de souvenirs ni d’hésitation : la main est plus sûre d’elle-même. Sur les cinq petites pièces qui font cortège à Dalila, il y en a deux où l’auteur me semble inférieur à lui-même, l’Ermitage et la Fée Quant aux trois autres, nous n’avons à leur donner que des éloges. Le Cheveu blanc ne vaut pas mieux comme analyse morale que le Pour et le Contre; mais il est très supérieur comme art, comme exécution et même comme intérêt dramatique, si tant est qu’on puisse chercher un intérêt dramatique dans des œuvres aussi délicates. J’ai beaucoup entendu blâmer la petite pièce de l’Urne, que l’auteur a justement appelée pastel; je ne saurais me ranger à l’avis de ces sévères critiques. Il y a trop de marivaudage sans doute, trop d’affectation alambiquée, et c’est un malheur; mais ce marivaudage recouvre un sentiment très vrai, et que l’auteur a saisi et développé avec un rare bonheur. Ce sentiment, c’est la défiance de l’amour à sa seconde épreuve, la défiance d’un cœur sincèrement épris qui se resserre pour ne pas être dupe, et qui, s’il n’y prend garde, va commettre par prudence autant de fautes qu’il en a commis naguère par naïveté. Dussé-je passer pour un homme de mauvais goût, j’oserai dire d’ailleurs que le marivaudage des personnages ne me déplaît pas, car je trouve ce langage en parfait accord avec le sentiment qu’il veut exprimer. Ce qui distingue précisément le sentiment de défiance dont nous avons parlé, c’est une coquetterie affectée, une petite guerre de ruses et de manœuvres taquines, une recherche obstinée et patiente du point