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compter les fuyards emportés par la Ravee. Le butin fut énorme, et les Sikhs de Nicholson s’en gorgèrent comme des vautours. Le lendemain, quatre cents hommes environ, retirés dans une île du fleuve et pourvus encore d’une pièce d’artillerie, parurent vouloir tenir bon. Nicholson fit passer la moitié de ses troupes d’un bord à l’autre, et la prise du canon des insurgés (manœuvré, soit dit en passant, par un ancien khansamah ou chef de cuisine) fut le signal d’une déroute complète. Tous ceux des mutins qui ne purent se sauver à la nage furent tués sur place. Quant aux prisonniers qu’on fit ensuite, leur sort ne fut pas mis en question. A mesure qu’on les amenait devant Nicholson : — A la lanterne! disait-il en français, et ce français-là ne manquait pas d’interprètes[1].

A Sealkote cependant, le judicial commissioner sévissait contre ceux des agens de l’autorité qui n’avaient pas fait leur devoir. Trois d’entre eux étaient Sikhs, et d’un grade élevé. On leur fit les honneurs d’un procès en règle; mais ils furent pendus comme les autres. Leur pardonner parce qu’ils étaient Sikhs eût été contraire à la politique inflexible du commissaire en chef et de ses délégués.

Nous allons assister maintenant à une tragédie qui fait pâlir tous les récits précédens. Qu’on veuille bien nous permettre de ne pas la raconter nous-même. M. Cooper en a été un des principaux acteurs; il aura seul la parole, et nous n’ajouterons pas un mot de réflexion à son récit, dont nous donnons le plus fidèle abrégé.

Le 26e régiment, ainsi qu’on l’a vu plus haut, avait été le 13 mai désarmé à Mean-Meer (près de Lahore). Il y était resté sous la garde des nouvelles levées sikhes. Un projet de fuite s’organisa dans ses rangs et, croit-on, de concert avec d’autres régimens également désarmés. Le 30 juillet, les cipayes se levèrent en masse, et l’officier qui les commandait (le major Spencer) tomba sous leurs coups. Un sergent-major européen périt aussi; un lieutenant ne leur échappa que grâce à l’excellent galop de son cheval. Au premier bruit de révolte, les Sikhs étaient accourus, et le feu précipité qu’ils dirigèrent sur la masse des cipayes put bien contribuer à les mettre tous en fuite, les bons comme les mauvais, les révoltés comme ceux qu’on aurait pu ramener, car le meurtre du major Spencer n’avait été que le crime d’un fanatique isolé, lequel s’était jeté à l’improviste, le sabre en main, sur ce digne officier, en appelant ses camarades au massacre de tous les Feringhis. Quoi qu’il en soit, le 26e désarmé, fuyait en masse. De Lahore et d’Umritsur, deux détachemens furent lancés à sa poursuite, d’abord au sud, du côté de Delhi, où on croyait qu’il se dirigeait, puis au nord, où, sans qu’on ait pu savoir quel était son but, il se portait effectivement.

  1. Cooper’s Crisis m the Punjaub, p. 149.