Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/790

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas assez belle, malgré ses mérites, pour populariser Isocrate, et il ne s’en est pas fait d’autre depuis[1]. Barthélémy, dans le Voyage d’Anacharsis, a tracé en passant un portrait piquant de la personne d’Isocrate, sans s’arrêter à ses discours. La Harpe ne lui a pas même donné un article. Je ne trouve rien sur lui dans Chateaubriand. Courier seul s’est occupé d’Isocrate avec amour; mais Courier était presque un Grec, tout comme Boissonade[2]. Les critiques illustres de notre temps n’ont pas rencontré Isocrate sur leur chemin. Enfin ce talent si accompli et si renommé a besoin encore d’être interprété : c’est la justification d’une étude qui peut offrir un double intérêt, suivant que l’on considère Isocrate dans l’histoire à laquelle il s’est trouvé mêlé, ou qu’on n’envisage en lui que l’art et le talent de bien dire.

Parlons d’abord de l’histoire. La vie d’Isocrate, j’entends la partie de sa vie où il a eu de la renommée et de l’influence, s’étend de la fin de la guerre du Péloponèse à l’établissement de la domination macédonienne. C’est la dernière période de l’existence de la Grèce libre, époque des plus émouvantes, pleine des luttes des cités grecques, qui se ruinent l’une l’autre au profit d’un maître longtemps inaperçu, puis tout à coup inévitable; pleine aussi, pour chacune de ces cités, d’agitations intérieures qui les consument, mais qui donnent aux esprits et aux passions leur plus haut degré de vivacité et d’énergie. Athènes surtout, la seule de ces républiques qui soit bien connue, parce qu’elle a laissé une littérature que nous lisons, Athènes, la tête de la Grèce, la ville des orateurs, qui a toujours uni à l’action la pensée et la parole, et dont la voix s’est fait écouter du monde entier, a eu pendant cette période la vie la plus dramatique. Jamais on n’a pu mieux lui appliquer les paroles de Bossuet : « Une ville où l’esprit, où la liberté et les passions donnaient tous les jours de nouveaux spectacles. » Ce n’est pas notre curiosité seule qui cependant est excitée, un sentiment plus grave et plus profond vient s’y joindre. Athènes a conçu et essayé la démocratie avant le temps; elle a aimé, du moins pour ses citoyens, l’égalité, le droit, la seule souveraineté de la loi et de l’opinion; elle a fait voir dans l’antiquité l’effort le plus indépendant et le plus hardi que la liberté humaine ait fait alors vers l’idéal politi-

  1. Auger n’avait pu traduire le discours sur l’Antidosis, qui était perdu, du moins dans sa plus grande partie, et n’a été retrouvé qu’en 1812. Sous ce titre, qui se rapporte à une certaine action judiciaire qu’il est inutile d’expliquer ici, ce discours n’est réellement qu’une longue apologie d’Isocrate par lui-même, le plus intéressant peut-être de ses ouvrages. Auguste Cartelier, ancien élève de l’École normale, mort il y a trois ans, a laissé en manuscrit une traduction du discours sur l’Antidosis, qui sera prochainement publiée.
  2. C’est Boissonade qui a fait l’article Isocrate dans la Biographie universelle.