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temps, il le voyait occupé de ces détails mesquins dont se composent même les grandes affaires, et qui nous rendent souvent aujourd’hui aride et laborieuse une lecture suivie de ses discours. Il le voyait entraîné par la polémique, soit devant les juges, soit même dans l’assemblée du peuple, tantôt à des détours, des chicanes et des contradictions d’avocat, tantôt à ces personnalités violentes et à ces injures grossières qui nous répugnent si fort dans les discours sur l’ambassade ou sur la couronne. Il le voyait obligé de flatter les passions de la foule, de ménager ses plus fâcheux entêtemens, de sacrifier quelquefois les principes. J’ajoute qu’il jugeait sans doute les torts de conduite et les faiblesses de l’homme avec la sévérité impitoyable de celui qui n’est pas à portée des tentations ni de la faute. Certains traits du Panathénaïque contre ceux qui, après avoir dépensé leur patrimoine en débauches, cherchent à refaire leur fortune aux dépens du public, ou ceux qui, pour parler au peuple sur le ton qui lui plaît, le jettent dans toute sorte d’embarras et de misères, peuvent paraître dirigés contre Démosthène quand on lit d’un autre côté dans Eschine : « De citoyen inscrit au rôle des plus imposés (je tourne cela à la française), il devient fabricant de discours, ayant dépensé misérablement son patrimoine... » Isocrate, qui était des premiers parmi ces plus imposés, s’associait probablement à ces mépris; mais, sans rechercher ses sentimens sur la personne du grand orateur, tenons-nous-en à ce qu’il devait penser de son langage. On lit dans la harangue de Démosthène sur la Liberté des Rhodiens ces propres paroles : « Pour moi, je crois juste de restaurer la démocratie rhodienne; mais lors même que cela ne serait pas juste, je crois encore qu’il faudrait vous le conseiller. » Combien un tel discours devait choquer le vieil orateur qui avait écrit, quelques années auparavant, un si beau développement sur l’utile inséparable du juste !

Il ne serait pas impossible que dans ce passage Démosthène eût précisément en vue de répondre à Isocrate, ou du moins à quelque orateur adverse qui s’était servi contre lui du brillant lieu-commun d’Isocrate. Et si nous écoutons cette réponse, elle ne nous scandalisera peut-être pas autant qu’on aurait pu s’y attendre d’abord.


« Il y a parmi vous, Athéniens, des hommes qui savent très bien établir les droits des autres sur vous; je n’ai qu’un conseil à leur donner, c’est de tâcher d’établir aussi vos droits sur les autres, s’ils veulent tous les premiers faire approuver leur conduite. Il est absurde en effet qu’ils prétendent vous enseigner votre devoir sans remplir le leur, et le devoir d’un bon citoyen n’est pas de chercher des raisons contre vous, mais pour vous. Car au nom des dieux, je vous prie, d’où vient qu’il ne s’est trouvé personne à Byzance pour détourner les Byzantins de surprendre Chalcédoine, qui est au roi, qui a été à vous, mais sur laquelle ils n’ont absolument rien à prétendre,