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ou de s’assujettir Sélymbrie, ville autrefois votre alliée, de la faire leur tributaire, et de comprendre son territoire dans le leur, au mépris des sermens et des traités qui garantissent son autonomie ; personne pour dissuader Mausole quand il vivait, ou depuis sa mort Artémise, de mettre la main sur Cos, sur Rhodes, et autres villes également grecques, desquelles le roi, seigneur d’Artémise et de Mausole, s’était dessaisi par les traités en faveur des Grecs, et pour lesquelles les Grecs, dans ces temps-là, ont bravé tant de périls et accompli tant d’exploits ? Ou s’il se trouve quelqu’un pour tenir aux uns ou aux autres ce langage, il n’y a personne du moins, à ce qu’il paraît, pour l’écouter. Pour moi, je crois juste de restaurer la démocratie rhodienne, mais lors même que ce ne serait pas juste, je crois encore, quand je vois comment agissent les autres, qu’il faudrait vous le conseiller. Pourquoi? Parce que si tout le monde, Athéniens, prenait d’un commun accord le droit pour règle, il serait honteux de nous refuser seuls à l’observer ; mais quand de tous côtés on prend ses mesures pour pouvoir violer la justice, nous borner à mettre le droit en avant sans nous assurer de quelque chose, ce n’est plus respecter le droit, c’est manquer de résolution. Je vois que les droits se mesurent toujours sur les forces, et je vous en donnerai un exemple connu de vous tous. Il y a deux traités entre les Grecs et le roi, celui qui a été conclu par notre république, et que tout le monde célèbre, ensuite celui des Lacédémoniens, qu’on blâme, comme vous savez. Et le droit établi par ces deux traités n’est pas le même. C’est que pour les particuliers sans doute le droit dépend des lois de la cité, qui assurent aux grands et aux petits une égale justice ; mais dans le droit public de la Grèce, c’est le plus fort qui fait la part du plus faible. Si donc vous avez déjà pour vous une chose, la résolution d’agir suivant le droit, il reste à faire en sorte que vous en ayez aussi le pouvoir. Et vous ne l’aurez que si vous demeurez les patrons de la liberté commune. »


Que cela est vif et entraînant! mais après tout que cela est vrai! Non qu’il ne soit absolument bon d’être juste, mais il arrive dans les affaires humaines que tel parti n’est pas juste absolument et en tout, et c’est au fond tout ce que l’orateur veut dire. Un droit rencontre devant lui, non pas des intérêts seulement, mais un autre droit; celui des traités, par exemple, vient se heurter comme ici à celui de légitime défense. Je ne prends point parti dans le débat auquel se rapporte ce discours : nous n’avons pas aujourd’hui assez de lumières pour le vider; je parle en général et sous forme d’hypothèse. S’il se présente un de ces conflits entre le droit et le droit où c’est à la conscience des peuples de décider une question souvent délicate, celle de savoir lequel des deux doit prévaloir, et s’il se trouve que c’est le droit inférieur, le droit étroit, qui a le plus de crédit et qui menace d’étouffer l’autre; s’il a des avocats nombreux, autorisés, et qui plaident si bien que la véritable justice, empêtrée dans leurs chicanes, n’a plus d’issue, on peut pardonner à celui qui la défend de perdre patience, et de s’écrier résolument comme Démosthène : « Je crois que ce que je veux est juste, et