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les constructions, les coupoles, qui ressemblent à des calottes blanches. Un vieux Maure, avec sa famille, garde ce lieu, doublement consacré par la mort et par la piélé de ses hôtes. Il y a des enfans et des femmes, épouses ou servantes, qui vont et viennent dans l’enclos, foulant avec indifférence les inscriptions mortuaires. Des pelures d’oranges, mêlées aux balayures des repas, sont semées çà et là sur les tombes, et des pigeons domestiques roucoulent au soleil sur l’étroit escalier des chapelles. Si je n’avais un respect infini pour ces lieux-là, je pourrais d’une enjambée m’introduire aisément sur la terrasse. Le plus souvent, elle n’a pour gardiens que deux chats engraissés dans la fainéantise, qui dorment pelotonnés à l’ombre des koubas. De temps en temps, le gardien lui-même vient examiner l’état des murailles. Avec un petit balai, un pinceau et un pot rempli de chaux liquide, il en fait disparaître les moindres salissures, peignant plutôt qu’il ne badigeonne, et se complaisant à faire revivre sous sa main cette blancheur immaculée qui, pour les Maures, est le seul luxe extérieur de leur logis. Il y met un soin extrême, comme s’il s’agissait du travail le plus délicat. C’est un gros homme un peu ventru, toujours propre, au visage plein d’aménité, et dont la verte vieillesse est due sans doute aux loisirs heureux de sa charge. Quand il m’aperçoit, ce qui n’arrive que rarement, tant il est occupé par ces soins de propreté, nous nous saluons poliment d’une formule courte, et jusqu’à présent je ne connais pas autrement ce vieux homme, moitié fossoyeur et moitié sacristain, que pour lui avoir dit : « Bonjour, sidi, que le salut de Dieu soit sur toi ! que ta maison soit prospère, et que la mort de tes semblables t’exhorte à bien vivre ! »

Ce monument bizarre, moitié maison de campagne et moitié tombeau, cette existence de famille au milieu des sépultures, ces enfans qui naissent et grandissent sur cette couche de cendres humaines, ce voisinage inusité de la vie et de la mort, enfin ces jolis oiseaux, voués aux plus gracieux emblèmes, dont le doux chant ressemble à l’entretien posthume de tant de cœurs inanimés, de tant de sentimens pour toujours éteints, tout cela, mon ami, sans aucune espèce de poésie, crois-moi, m’intéresse beaucoup, et m’entraîne à des rêveries que tu peux comprendre.

À côté du mausolée, et communiquant par une porte avec l’enclos réservé, s’étend le cimetière public. Il porte le nom du marabout ; on l’appelle aussi le cimetière de Bab-Azoun, pour le distinguer du cimetière de l’ouest, situé près de Bab-el-Oued. Il est petit, même pour la moitié d’une aussi grande ville. Aussi l’étroit terrain est-il constamment remué, fouillé dans sa profondeur, et partout où des tombes de pierre ne font pas respecter la propriété du mort, je présume qu’on s’occupe assez peu de l’être inconnu qui