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fut déposé là, et que, n’importe comment, on fait faire place au nouvel arrivant. La terre, pétrie de matière humaine, fait pousser des plantes énormes. Les mauves, les cactus, des aloès monstrueux, y prospèrent en toute liberté. Un âne se promène en paix dans ce pâturage riche en engrais.

Les tombes arabes sont très simples, même les plus opulentes, et se ressemblent toutes, ce qui, philosophiquement, est d’un grand goût. C’est un bloc en maçonnerie, d’un carré long, peu élevé au-dessus du sol, portant à ses deux extrémités soit un turban grossièrement sculpté sur un petit fût de colonne, et rappelant assez exactement la forme d’un champignon de couche sur sa tige, soit un morceau d’ardoise triangulaire posé debout comme le style d’un méridien. La dalle de pierre ou de marbre est couverte de quelques inscriptions arabes : noms du mort et préceptes du Koran. Quelquefois cette dalle est taillée en forme d’auge et remplie de terre végétale. On y voit alors un peu de gazon et quelques fleurs, soit qu’on les y ait plantées, soit que le vent lui-même en ait apporté les semences. Quelquefois encore l’on prend soin de creuser aux deux extrémités de la pierre deux petits trous, en forme de coupe ou de godet, où la pluie se dépose et fait un réservoir d’eau. « D’après une coutume des Maures, on a creusé au milieu de cette pierre un léger enfoncement avec le ciseau. L’eau de la pluie se rassemble au fond de cette coupe funèbre, et sert, dans un climat brûlant, à désaltérer l’oiseau du ciel. » Je n’ai pas vu d’oiseau voler vers ces tombes arides, ni boire aux coupes taries ; mais je pense au Dernier Abencerrage chaque fois à peu près que j’entre dans le cimetière de Sid-Abd-el-Kader.

Cependant on se tromperait beaucoup si l’on croyait que tout y est édifiant. Il y a dans le génie du peuple arabe un mélange de fictions charmantes et de réalités absurdes, de réserve et d’inconvenances, de délicatesse et de brutalités, qui le rendent très difficile à définir d’une façon absolue. Une définition ne suffit pas, il faut des nuances. On l’admiie, et aussitôt on croit s’être trompé, tant les démentis sont fréquens dans le caractère de la race, et tant il y a de désaccord entre son génie naturel, qui est subtil, et son éducation, qui toujours est des plus grossières. L’Arabe a dans l’esprit quelque chose d’ailé, et nul parmi les peuples civilisés n’est plus profondément engagé dans la matière. On peut donc, sans se contredire, penser de lui les choses les plus contraires, suivant qu’on l’étudié dans son esprit ou qu’on l’observe dans ses habitudes.

Il y a un jour par semaine, ce doit être le vendredi, où, sous prétexte de rendre hommage aux morts, les femmes d’Alger se font conduire en foule au cimetière, à peu près comme à Constantinople on se réunit aux Eaux-Douces. C’est tout simplement un rendez-vous