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vré lui-même, trouvait qu’en comparaison de sa manière, celle des orateurs ordinaires était bien petite, et Denys n’a pas assez d’expressions pour célébrer la grandeur, la dignité, la majesté de ce style, et cette élévation merveilleuse du ton, « qui est celle d’une langue de demi-dieux plutôt que d’hommes. » Nous ne mesurerons pas notre admiration sur celle du rhéteur d’Halicarnasse, car son goût, qu’on pourrait appeler un goût de sens commun, est court et superficiel sans être faux, et s’arrête souvent à l’apparence; mais nous reconnaîtrons avec Platon, dans l’élocution d’Isocrate, quelque chose d’imposant qui le distingue des orateurs d’avant lui, et qui frappe aujourd’hui encore. Et, comme Platon, nous en rapporterons l’honneur à la philosophie et aux idées générales. C’est là que le développement oratoire a ses racines, et sans elle l’éloquence d’apparat demeure pauvre. Si on relit ces pages d’Isocrate, on verra tout de suite que les pensées générales, les sentences, en font les principales beautés, et qu’elles agrandissent tout ce qu’il touche. Thucydide avait trouvé ce secret, qui restait comme enveloppé dans l’originalité laborieuse de son génie et dans la subtilité d’une analyse où Socrate n’avait pas encore porté sa lumière; le talent souple d’Isocrate le dégage et le livre à tous ceux qui cultiveront l’ait désormais. Quand Cicéron élargit tout à coup le champ de l’éloquence romaine en apportant l’esprit philosophique dans l’art oratoire, quand il prononça qu’il n’y a pas de pleine éloquence sans philosophie, il fit précisément ce qu’avait fait à Athènes l’orateur élève de Socrate.

On n’apprécie bien en effet tout ce que vaut l’art d’Isocrate que si on ne le considère pas seulement en lui-même, mais dans ceux qu’il a formés. Il est le maître de tout ce qu’il y a eu d’orateurs après lui dans Athènes; son école, disait-on, est le cheval de Troie, d’où sont sortis tous les héros de l’éloquence grecque. Si on compare les faiseurs de discours de l’âge précédent, les Antiphon, les Andocide, les Lysias même, aux orateurs qui ont brillé dans la lutte contre la Macédoine, tous jeunes par rapport à Isocrate, et qui ont ressenti son influence, on voit combien ces derniers ont le développement plus abondant et la phrase plus riche. C’est surtout dans l’éloquence d’apparat que ce rapprochement a de l’intérêt; il nous en reste aujourd’hui deux monumens, les deux Discours funèbres de Démosthène et d’Hypéride. Celui de Démosthène pour les morts de Chéronée n’a pas paru répondre à ce qu’attend l’imagination émue par ces deux noms, et cela a suffi pour déclarer qu’il n’était pas authentique; mais ce n’est pas toujours au moment même où un événement s’accomplit qu’il inspire tout ce qu’il pourrait inspirer, surtout quand les esprits sont abattus sous le premier coup d’un désastre. Le même orgueil qui s’épancherait avec complai-