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chir de telles épreuves (et c’est Léosthène), ceux qui se sont montrés les dignes compagnons d’un tel général, ne sont-ils pas heureux d’avoir déployé tant de vertu plutôt que malheureux d’avoir laissé échapper la vie, puisqu’on sacrifiant un corps mortel ils ont acquis une gloire immortelle, et que par leur valeur ils ont assuré la liberté de tous les Grecs? Oui, le brave fait le bonheur universel avec le sien propre. Le bonheur en effet, c’est de n’obéir pas à la menace d’un homme, mais à la voix seule de la loi ; c’est que des hommes libres n’aient pas à craindre d’être accusés, mais seulement d’être convaincus; c’est que la sûreté de chacun ne dépende pas de ceux qui flattent les maîtres et qui calomnient leurs concitoyens, mais qu’elle soit placée sous la protection des lois. Voilà en vue de quels avantages ceux dont nous parlons, acceptant épreuves sur épreuves, et par leur péril d’un jour affranchissant à jamais des craintes de l’avenir leur patrie et la Grèce, ont donné leur vie pour que nous vivions avec honneur. »


Certes la brillante éloquence d’Isocrate est loin de cette vivacité enflammée, et on peut croire qu’il n’aurait jamais fait le discours d’Hypéride; mais on doit dire aussi qu’Hypéride n’aurait pas écrit ce discours sans lui. C’est dans Isocrate qu’il avait appris à employer le ton large et les hauts enseignemens de la prédication morale, puis les accumulations, les oppositions, les effets de la période et du nombre, en un mot l’art, qui permet seul à une nature éloquente d’atteindre à toute sa puissance et de remplir l’idée du beau.

Mais aucun talent ne relève plus évidemment d’Isocrate que celui de Cicéron. Cicéron est aussi un maître en beau langage, et de plus c’est un orateur. Il a enseigné à son pays la prose élevée; il a délié la langue des parleurs romains; il leur a appris leur art, que jusqu’à lui leurs plus heureux génies ignoraient : il rappelle par tous ces côtés l’auteur du Discours panégyrique. Seulement celui-ci, poursuivi par la conscience importune d’un je ne sais quoi qui lui interdit l’éloquence réelle, accuse sans cesse sa timidité ou la faiblesse de ses organes; l’autre a la voix qui enlève les foules et l’élan hardi qui livre les grands combats; il est pour Rome un Isocrate et un Démosthène tout ensemble : moins grand que Démosthène, il semble bien au-dessus d’Isocrate. Il a la passion, il a la flamme; ses moindres paroles ont plus de mouvement et de vie. Par certains côtés cependant, on peut douter qu’il l’égale. Son élégance n’est pas si achevée, car c’est un improvisateur qui n’arrête point ses phrases à loisir, qui ne parle pas d’ailleurs à des Athéniens, et à des Athéniens choisis, qui s’adresse à une foule moins délicate. Son éloquence, moins discrète, est surtout moins bien placée, et sur des thèmes souvent ingrats. Pour ne prendre que les plus isocratiques de ses discours, la Manilienne est l’éloge intempérant d’un homme et d’une mesure qui achevait de mettre en évidence comment un